Tu vis en permanence à la bergerie de Faucon maintenant ?
Oui, pratiquement en permanence.
Pourquoi je suis à la ferme ? Le 18 mars 2020, avec le covid, j’ai quitté Paris pour venir à Faucon. À 85 ans, je suis obligé de quitter mon travail à Paris. Ici j’ai un nouveau travail. Je ne sais pas si c’est une retraite. Je suis parti là où j’avais fondé la maison de Faucon il y a 47 ans grâce à un jeune qui m’avait demandé de lui chercher une ruine. J’ai donc trouvé et acheté la ruine et reconstruit avec des jeunes, des dizaines sont venus de Paris avec moi. Je ne pensais pas à ce que j’allais faire à 85 ans. C’est le covid qui m’a permis de foutre le
camp. Je suis donc parti d’une ville bruyante et je suis venu dans le silence des Alpes de Haute Provence. À 85 ans, c’est un changement énorme. C’est à l’ehpad que j’aurais pu aller mais j’ai refusé d’aller dans un ehpad, à moins que je sois mourant. J’ai établi mon camp là. Qu’est-ce que je fais là ? Je suis dans ce lieu de 15 hectares que j’ai fondé, peuplé de jeunes et d’animaux.
Les jeunes qui venaient de Paris m’avaient dit : « Achète-nous une ruine loin de la ville, loin de l’alcool, loin de la drogue ». Je vis avec eux et avec 120 animaux de 20 races différentes puisque ces jeunes sont attirés, non pas par la personne humaine mais par les animaux qui
les passionnent car l’animal ne ment pas, ne triche pas et il rend ce qu’on lui a donné. C’est très dépaysant pour eux d’abord et pour moi aussi. Ils s’habituent, ils travaillent, ils bossent, ils acceptent qu’on leur donne des ordres. Tout ça n’est pas facile. Mais je ne m’occupe pas de la ferme. Il y a un directeur pour ça. Tout va bien. 8 ou 9 éducateurs assument ce travail.
Il y a combien de jeunes actuellement ?
On n’a pas le droit d’avoir plus de 7 jeunes. C’est l’ASE, l’ancienne DASS qui l’a décidé. C’est excellent parce que ce sont des jeunes très traumatisés, très perdus et on n’a pas besoin d’en avoir une trentaine ou une quarantaine. Ça serait impossible. C’est un travail de longue haleine et quotidien.
J’habite un peu en haut, un chalet que des gens m’ont offert il y a 20 ans. J’ai un bon contact avec eux et avec les éducateurs mais je ne travaille pas sur la ferme. Je suis astreint d’être là mais sans commandement ni rien. Je n’en aurais peut-être pas la force et surtout, je prépare l’avenir avec un directeur qui est excellent et qui nous aide beaucoup à mener, après 47 ans, ce travail de fond.
Comment se déroule ta journée ?
Je suis dans le silence avec une personne qui m’aide en permanence, une dame âgée. Je prends de temps en temps un adjoint de Paris qui vient m’aider pendant une semaine. Beaucoup de gens viennent visiter Faucon l’été, peut-être 1 500 personnes, et il y en a qui veulent me voir, des anciens aussi que j’ai aidés il y a longtemps. Ils ont près de 60 ans et ils viennent de temps en temps, ce qui est une joie pour moi.
Je dis la messe à 18 heures, je fais l’Eucharistie tous les jours. C’est très chouette, ils ne sont pas nombreux : des non chrétiens la plupart du temps, quelques chrétiens, mais des musulmans, des bouddhistes, énormément de divorcés. La prière ne dure pas très longtemps mais c’est un excellent moment spirituel que je vis avec ces gens. Je célèbre quelques mariages (j’en ai un dans huit jours à Nice), quelques baptêmes, ce qui entretient ma vie spirituelle et c’est intéressant de les vivre sur place ou en dehors.
Avec ce recul et avec ton âge, est-ce que ton intimité avec Jésus a évolué ?
Oui, elle a évolué. Elle évolue favorablement dans le silence. C’est ça qui est important. J’ai vécu à Paris pendant une quarantaine d’années dans le bruit, dans la violence. Donc, quand tu es dans ta 88e année, ça fait du bien de se séparer d’un travail énorme, difficile, poignant. Je me couche tard comme d’habitude puisque j’allais avec les jeunes dans les bars la nuit à Paris jusqu’à 4 heures du matin. Je me couche à 2 heures, je me lève à 10 heures. Le téléphone commence à sonner (ce sont des prisonniers qui m’appellent) : « Peux-tu m’envoyer de l’argent, je suis en prison ; je sors de prison ». C’est toujours assez déroutant et difficile de commencer la journée en entendant des messages des gens qui sont dans la peine, mais c’est mon travail que je fais presque depuis 50 ans et je le fais avec joie, une très grande joie : essayer d’aider les jeunes qui sont sans argent et sans espérance.
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