Difficile de fixer une rencontre tant Daniel Duigou passe le plus clair de son temps dans le Grand Sud marocain, près de Ouarzazate. Mais les transports aériens, à cause des règlements imprévisibles Covid, laissent parfois du temps imprévu. Ainsi il a pu nous recevoir chez lui, à Paris, autour d’une délicieuse collation. Nous apprécions son triple regard d’ancien journaliste présentateur de télévision, de psychologue-psychanalyste et de prêtre du diocèse de Paris. Sa vie africaine, loin de l’agitation parisienne, contribue à un certain recul sur notre société.
Qu’est-ce qui vous a attiré en premier depuis votre enfance ? Est-ce que c’est l’idée de la prêtrise ?
Je suis né dans une famille très modeste avec un père alcoolique ;
ce père défaillant bouleversa l’équilibre familial, équilibre nécessaire
pour le développement d’un enfant. Le symptôme de mon mal de vivre, ce fut la dyslexie ! J’ai eu, très vite, dans ce cadre difficile, la chance de rencontrer plusieurs « papas » de substitution.
J’étais un enfant en souffrance qui était en danger.
Et c’est un prêtre, Bernard Gruel, aumônier des Coeurs Vaillants dont je faisais partie dès l’âge de 7 ans, qui m’a vraiment aidé, qui m’a même sauvé : il avait d’abord repéré que j’étais en souffrance. Parce qu’il m’écoutait, il m’a donné la possibilité de parler. À travers ce que je lui disais, il ne condamnait pas mon père ; il ne jugeait pas. Encore une fois, il écoutait. Ce qui me permettait d’exprimer ma souffrance, de l’analyser, et de me situer. Et le déclic est là, je me suis dit tout naturellement : « Moi aussi je veux un jour être prêtre pour pouvoir être pour les autres ce qu’il est pour moi ». C’est dans ce contexte humain très sensible que j’ai été intéressé par l’histoire de Jésus au catéchisme. Donc, à l’âge de 11/12 ans, j’ai dit au prêtre : « Moi aussi je veux être prêtre comme vous ». Et cette parole va structurer ma vie pour toujours.
Et pourquoi êtes-vous allé du côté du journalisme ? Vous auriez pu faire le grand séminaire ?
Lorsqu’éclate mai 68, j’avais 20 ans,
le curé de ma paroisse m’a présenté au supérieur des Carmes, le père Petit, qui m’a confirmé : « Aujourd’hui, il faut que les prêtres connaissent mieux le monde pour mieux annoncer Dieu ; continuez vos études ». Cette phrase s’est gravée dans ma tête comme dans le marbre.
J’étais en fac d’économie et de droit à Nanterre, d’où tout est parti. Chamboulement, des journalistes arrivent sur le campus, notamment Bruno Frappat et Yves Agnès du journal Le monde. Comme je logeais sur le campus, à la « cité U » de Nanterre, je leur donnais des informations, ce qui leur permettait, parfois sans se déplacer, d’être raccord avec l’actualité, alors que le journal bouclait très tôt dans la matinée.
Mes premières piges ont été pour Le Monde
et là, j’ai pris le goût de l’actualité et du journalisme. Mais il y avait une distorsion entre ce que je vivais sur le campus, ce que j’en comprenais, et ce qui était restitué dans les journaux et en particulier à la télévision. Outre l’actualité et les faits, c’est leur interprétation qui est importante et c’est là que le journaliste a toute sa place.
Notre société était en train de changer et j’avais envie de participer à ces évènements. Entrer au séminaire aurait signifié sortir du monde, de la société. Or, c’est à travers cette société que j’entendais un appel à être prêtre. Aussi, quand je termine mes quatre années de fac, c’est l’envie d’être journaliste qui prend le dessus, mais en vue d’être prêtre.
Vous êtes également psychanalyste…
Étudiant, j’ai eu connaissance de l’association SOS Amitié et je suis devenu bénévole
La nuit, je répondais au téléphone à l’écoute de personnes en détresse ; il y avait des groupes de contrôle pour aider les bénévoles « écoutants », parfois déstabilisés, et j’ai ainsi rencontré
Jacqueline Duchêne psychiatre, psychanalyste, à la retraite, qui avait connu Lacan et Merleau-Ponty ; elle m’a donné le goût de la psychanalyse qui permet de découvrir des choses essentielles à la compréhension de l’individu à travers son inconscient.
J’ai arrêté SOS Amitié pour commencer une psychanalyse, au même moment d’ailleurs où je commençais mon métier de journaliste à Cognacq-Jay. Puis, parallèlement, et grâce à un D.E.S.S. de clinicien, j’ai pu prendre en charge des patients et exercer mon métier de psychanalyste, notamment à St Louis, à l’époque où s’est déclaré le sida, maladie complètement inconnue, où la situation était catastrophique dans les hôpitaux.
Si cet article vous plaît, pensez à faire un don.
Le fonctionnement du site a un coût. Il n’y a pas de publicité.
Vous avez un bouton « don » sur le côté.
Merci de votre participation quel que soit le montant.
Tout en étant présentateur à la télévision, j’étais psy à l’hôpital
avec toujours ce souhait de devenir prêtre, habité par l’idée que nous dépendons les uns des autres, que notre salut passe par le salut de l’autre.
Un samedi, avant de présenter mon journal qui passait vers minuit – on l’appelait le dernier journal -, je regarde l’émission Apostrophe de Bernard Pivot qui se tournait au rez-de-chaussée. Un de ses invités était un évêque, Jacques Gaillot. Je le vois sans col romain, sans croix pectorale.
Il ne parle que de l’homme, de l’avenir de l’homme.
Et je pense : « C’est en parlant de l’homme qu’il parle de Dieu. C’est un homme comme lui que je veux rencontrer en tant qu’évêque ».
Le dimanche suivant, à Evreux, nous faisons ensemble quelques pas dans son jardin et il me dit : « Le prêtre est un auxiliaire de l’évêque, j’ai besoin d’un gars comme vous, psy et journaliste, pour m’aider à être évêque, pour mieux transmettre aujourd’hui la parole de Dieu. » Et il enchaîne : « Daniel, je ne vais quand même pas vous faire faire le séminaire, votre vie vaut séminaire… Il faut voir comment on va vous accompagner pour l’ordination, notamment pour compléter votre bagage en théologie. Mais après l’ordination, pas question non plus de vous mettre dans une paroisse. C’est en restant journaliste et en restant psy à l’hôpital que vous signifierez au mieux que l’Église est partie prenante à tous les niveaux de l’avenir de la société. »
Vous rendez-vous compte de l’ouverture dont Jacques Gaillot est capable à ce moment-là ?
J’aurais tellement d’exemples à vous donner montrant à quel point ma vie a été façonnée par des rencontres avec des gens exceptionnels qui osaient la nouveauté !
Qu’est-ce qui vous a amené à la vie d’ermite au désert ?
Le premier déclic, c’est quand je parle au prêtre B. Gruel : « Moi aussi, un jour je serai prêtre »… Et le second, alors que je venais de perdre mon père, j’ai 14 ans, c’est la lecture de la biographie de Charles de Foucauld. L’ado que j’étais se dit : « Moi aussi un jour je partirai ».
Ce qui m’avait marqué chez cet homme, c’était sa capacité à ne pas être soumis à son environnement, notamment à sa classe sociale, à son éducation, à sa culture. Être capable de faire des ruptures avec ce qui vous détermine et qui n’est pas vous, et décider pour soi-même, selon son propre désir.