Statue du XXème siècle au parc de la Leonardsau,
à Obernai, en Alsace
La figure de Benoît LABRE (1748-1783) est étrange, voire fascinante car elle est totalement décalée par rapport à ce XVIIIème siècle dit des lumières. La Révolution française est proche, le catholicisme traditionnel commence à être contesté, les différentes formes de sciences prennent leur essor pour culminer les siècles suivants. La vie de Benoît Joseph LABRE apparaît alors comme un contre modèle symbolique et peut nous conduire aujourd’hui, non pas à être lui, mais à réfléchir à quelques points transposables dans notre expérience contemporaine.
Qui était Benoît-Joseph LABRE ?
Issu en tant qu’aîné d’une famille rurale
dotée d’une immense fratrie de 15 frères et sœurs, Benoît LABRE ressentit sa vocation spirituelle très tôt dans sa toute première adolescence. Il tâtonna assez longuement en tapant à la porte de monastères, entre autres chartreux, pour finalement s’orienter vers tout autre chose, le « vagabondage mystique ». Durant plus de quinze ans, il erra de lieux saints en lieux saints pour finir par s’arrêter à Rome pour s’abriter dans les ruines du Colisée et y achever sa courte vie à l’âge de 35 ans. Il avait parcouru environ 30.000 km
Faisant fi de toutes les conventions,
et le trait est demeuré célèbre, il jura de ne plus se laver par esprit de mortification. Ce nomade de Dieu reçut alors tous les qualificatifs injurieux possibles qui ne seront pas cités, par décence, dans cet article. Aussi émacié que l’illustre la statue ci-dessus, il frappa néanmoins ses contemporains par sa sainteté et sa bienveillance malgré les pierres et injures qu’il recevait tout au long de son chemin. Il ne nous reste de lui que deux lettres authentiques qui en disent long sur sa spiritualité : « Savoir aimer ceux qui de sont perdus et les aimer dans leur perdition » et « Dès sa mort, la foule romaine la proclama saint tant les miracles se multipliaient sur sa tombe ».
En finir avec ses propres idoles
La vie de Benoît LABRE ne se veut pas exemple mais contre exemple. À la rationalité émergente du monde occidental, il proposait non pas une élucubration mais un autre chemin, celui du dépouillement et du renoncement. En soi, sa vie est une réponse à toutes les images sociales et mondaines qui nous ont envahis jusqu’à en devenir des normes ou des références.
Ces images ou idoles sont en nous et en dehors de nous. Les stratifications sociales mettant en avant les réussites. Les narcissismes divers et variés, personnels, idéologiques ou politiques en sont les meilleures représentations contemporaines.
De l’extérieur à l’intérieur du chemin
Nos pèlerins ou marcheurs actuels ne sont plus seulement des randonneurs allant de paysages en paysages mais des explorateurs de sentiers subtils au plus profond de nous. On pourrait les nommer les marcheurs du dedans. Intériorité et extériorité sont des miroirs de cet infini qui nous habite et dont les retombées sont multiformes. À nous de repérer nos idoles et de nous en décaler.
Un fol en Christ occidental ?
Les fols en Christ
sont relativement courant en Orient chrétien mais plutôt rares en Occident. Sainte Xenia à la fin du XVIIIème siècle russe est restée célèbre. Aristocrate fort riche, elle perdit son mari officier. Elle prit alors sa vareuse qui ne la quitta plus pour tomber en lambeaux et parcourut les routes de l’immense Russie jusqu’à sa mort. Sur sa tombe les miracles ne se comptaient plus. Benoît Joseph LABRE en est une illustration occidentale.
Mais la source est loin d’être tarie
car elle se perpétue de nos jours. Saint Gabriel de Géorgie (1929-1995), notre contemporain, qui vécut à l’une des pires périodes du régime communiste en témoigne avec toutes les caractéristiques de ces parcours singuliers. Dès l’enfance, il eut d’étranges visions puis fut enfermé à différentes périodes de son existence pour maladie mentale comme c’était souvent le cas en URSS pour les déviants de toutes sortes. À sa façon et dans les formes qui étaient celle de son chemin, il fit de sa vie une image de l’essentiel et du dépouillement total qu’évoque si bien la statue en tête d’article.
Gérard-Emmanuel Fomerand
Cette publication a un commentaire
Très beau texte qui fait réfléchir