Au cœur de l’occident mystique
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) est un homme totalement atypique surtout dans le contexte de son époque. Scientifique réputé comme paléontologue mais aussi théologien de formation, prêtre catholique de la communauté jésuite, il était avant tout un découvreur tout en s’appuyant sur de très anciennes intuitions bibliques. L’originalité de ses travaux lui valut de sérieux rappels à l’ordre de l’église catholique dont, un moment, une interdiction de s’exprimer. Pour Teilhard, l’amour dépasse, même s’il l’inclut, l’affect ou le sentiment. Il est au sens propre une énergie cosmique qui engendre la création, l’anime et la fait vivre. Ce lien universel constitue le grand chemin ultime vers ce que Teilhard nomme le point Omega.
L’amour source de l’univers
Pour Teilhard, l’amour est une énergie qui est la source de l’univers et de toute la création. Pour lui, il est une essence subtile et sans forme mais dotée d’une puissance à nulle autre pareille. Sans lui, rien n’est possible. Dans le « Phénomène humain », il écrit que « l’amour dans sa pleine réalité biologique, c’est-à-dire l’affinité de l’être pour l’être…représente une propriété générale de toute vie. »
Il y a une sorte de prédestination à sortir d’un néant abyssal pour arriver à unir puis réunir ce qui à l’origine n’existe pas. Cet amour- énergie va, en effet, créer d’abord à l’échelon microscopique puis cosmique, la totalité de l’univers, en passant entre autres par l’être humain. Il le dit ainsi : « Si, à un état prodigieusement rudimentaire sans doute quelque propension interne à s’unir n’existait pas, jusque dans la molécule, il serait impossible à l’amour d’apparaître plus haut chez nous à l’état hominisé. »
Teilhard traduit, dans un langage contemporain, une très ancienne intuition du judéo-christianisme, celle d’un « Père » sans origine mais qui est à l’origine de tout. Il affirme, sous une autre forme, ce qu’exprimaient déjà les spirituels rhénans.
Des fragments en recherche d’unité
Nous avons, toutes et tous, consciemment ou inconsciemment, cette sensation d’appartenir à un ensemble plus vaste que nous, quel que soit le nom utilisé, humanité, monde, nature etc…
Teilhard le traduit dans son approche de biologiste et de paléontologue. Il parle de fragments. « Sous les forces de l’amour, ce sont les fragments du monde qui se recherchent pour que le Monde arrive. » Il y a chez Teilhard une capacité assez impressionnante à nommer des forces qui dépassent les capacités de compréhension humaine. Nous sommes des fragments et sans ces micro- éléments, le monde n’existerait pas. En allant plus loin, et beaucoup de mystiques chrétiens l’ont vécu et affirmé, Dieu n’existerait pas sans l’homme. Pour un Maurice Zundel (1897-1975), l’homme est capable de Dieu. Teilhard ajoute que Dieu est capable de l’homme. Quelles vertigineuses perspectives nous sont ainsi proposées !
L’amour ou l’achèvement de l’homme
Sans l’amour, l’humanité est inachevée. Elle est incomplète. Teilhard écrit, toujours dans son ouvrage sur le phénomène humain… « Seul l’amour, pour la bonne raison que seul il prend et joint les êtres par le fond d’eux-mêmes, est capable d’achever les êtres. »
Dans notre époque d’incertitudes voire de catastrophisme, Teilhard nous remet dans notre véritable dimension du fini-infini. Sa particularité est de mettre en mots de notre temps l’immensité du message de la spiritualité du christianisme. Trop longtemps cantonnée ou limitée à une morale répressive ou aux dogmatismes des églises, cette voie à la fois spécifique et universelle est un puits sans fond d’inspiration pour tout et tous.
Un foyer d’amour au cœur de l’univers
La présence divine, agissante et silencieuse est omniprésente dans la Bible. Elle se manifeste sous des visages divers et symboliques. Mais elle anime tout le texte biblique. Sur ce point, comme toujours, Teilhard n’innove pas mais ouvre une nouvelle compréhension où se mêlent chez lui le propos scientifique, l’héritage biblique et la parole poétique. « Sens de l’univers, sens du Tout : en face de la Nature, devant la Beauté, dans la Musique, la nostalgie nous prend …d’une grande Présence » nous dit-il toujours dans le Phénomène humain. Ce gigantesque foyer d’amour nous mène, au bout du chemin de l’homme mais aussi de l’univers à ce fameux Point Omega, mot forgé par Teilhard. Ce terme indique à la fois l’origine et l’aboutissement de l’humanité et du Monde à travers le visage du Christ qui s’incarne dans notre chair pour la transfigurer. Le prélude de l’évangile de Jean est alors tout proche avec sa Parole Lumière au début et à la fin de la création.
Il est significatif que ce prélude évangélique écrit il y près de deux mille ans se réactualise sans fin. L’amour-énergie de Teilhard nous le rappelle dans sa propre vision et expérience. Il est tout et au-delà de tout.
L’amour-énergie dans nos vies
L’amour-énergie est au cœur de nos vies car il nous conduit bien plus loin que nous-mêmes. Nous pouvons, et c’est bien le sens de nôtre liberté, arriver de là où nous sommes à cet amour inconditionnel dont les formes sont multiples. Dans notre quotidien le plus prosaïque, l’amour-énergie prend sa place naturelle, avec nos proches et plus largement dans le regard posé sur le monde. Bienveillance et accueil, solidarité et fraternité avec l’ensemble du vivant changent nos pratiques et façons d’être pour un monde différent et apaisé. N’y a-t-il pas là lieu de s’émerveiller !
http://www.laspiritualitedelabeaute.fr/
Gérard-Emmanuel Fomerand
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Cette publication a un commentaire
L’article de Gérard Fomerand sur Teilhard de Chardin est très intéressant. Son analyse sur la relation bijective entre Dieu et l’homme va dans le sens du principe anthropique fort tel que l’a énoncé Brandon Carter. En tant que scientifique j’aime la vision dont a fait preuve ce grand polymathe que les découvertes actuelles ne contredisent pas. Son concept de point Oméga comme le rappelle l’auteur de l’article est plus que jamais d’actualité. Toutes mes félicitations
Georges Mallet