Les informations, quelle que soit leur forme, reflètent le « spectacle » du monde. Comme une pièce de théâtre où se passerait constamment un rebondissement.
Plus les évènements sont graves, plus l’émotion est excitée. La vie quotidienne nous fournit son lot de petits problèmes, d’agacements, de contrariétés. Mais pas de quoi en faire un plat : juste ce qu’il faut pour penser du mal de soi et des autres. Tout en restant inaperçus, car contrebalancés par quelques instants de bonheur nous évitant d’aller creuser.
Les informations médiatiques sont une caisse de résonnance amplifiant ce mécanisme. Le monde va mal ; il y a des malheurs partout, la terre est pourrie ! Mais il y a des évènements heureux, de belles personnes. Et nous voyons parfois des paysages époustouflants donnant espoir pour la planète.
Mais quel est ce mécanisme qui rend si important des étrangers sans lien de parenté ?
L’ambiance d’informations permanentes, dans laquelle nous sommes baignés (journaux, radio, télé et surtout écrans numériques), met notre système nerveux à rude épreuve. Il est à la fois excité et miné. Excité au point d’en devenir addict, car les évènements du monde nous donnent par procuration le sentiment de vivre intensément. Miné, car ils atteignent notre moral et insidieusement altèrent notre être.
Quelques jours plus tôt, une voisine me dit avoir acheté Gala à cause de Meghan et Harry. Elle ajoute, les yeux embrumés, qu’elle se fait du souci pour Harry : il a quitté la famille royale, sa famille ; il s’est lancé dans une vie affairée, poussé par sa femme. Il risque de se faire avoir. Sous-entendu : je ne sais pas comment ça va finir, mais je m’en doute. Devant mes sourcils relevés de surprise pour cette inquiétude qui l’envahissait, elle se tait et se renferme sur elle-même. Je sens sa déception de ne pas partager son émoi.
Mais quel est ce mécanisme qui rend si important des étrangers sans lien de parenté, sans lien historique ni géographique, au point de rompre un instant de connivence entre voisins ?
Pourquoi souffre-t-elle pour Harry ?
Je réalise qu’elle est divorcée. Elle a peur que Harry se fasse avoir par Meghan, comme elle-même s’est fait avoir par son ex-mari. Souffrir pour Harry lui masque sa propre douleur, encore si présente. Elle vit par procuration en étant procureur et juré invité au tribunal : dans cet instant, elle ignore sa propre souffrance. Elle accuse Meghan comme elle accuse son ex. Elle la juge, faisant de Harry une pauvre victime, comme elle pense l’être elle-même. En fin de compte – de procès, pourrions-nous dire – elle condamne Meghan. La sentence n’est pas exprimée à haute voix, l’instant n’y étant pas favorable, mais dans sa tête, cela doit ressembler à : « Quelle salope ! »
Ainsi, le mécanisme émotionnel est identifié :
– une victime, à plaindre, à réhabiliter ;
– un bourreau, à accuser, à juger, à condamner.
Cette voisine ne peut pas entendre d’autres points de vue possibles, comme celui, d’ailleurs tout aussi faux, que Meghan est victime et Harry, bourreau. Elle ne peut davantage entendre que ni Harry ni Meghan ne sont des victimes. Ils sont, autant l’un que l’autre, responsables de leur couple, et chacun de sa souffrance. Peut-être du bout de l’oreille ? L’entendre vraiment nécessiterait qu’elle aperçoive le miroir renvoyé par le couple mis à l’écart de la famille, qu’elle voie sa responsabilité dans la séparation avec son mari. Elle pense qu’elle s’est fait avoir. Mais est-ce la réalité ?
Prenons du recul sur cet exemple :
- notons l’attirance pour les médias qui nous parlent des bonheurs (mariage royal en grande pompe) et des malheurs du monde (exil au Canada) ;
- ainsi nous projetons-nous dans les évènements, sans nous rendre compte que ceux qui nous émeuvent sont ceux qui nous mettent en lien avec notre histoire. Toujours, il y a une victime et un bourreau, même quand celui-ci n’est pas identifié ;
- cette façon de voir, spontanée, est un mensonge. Les relents de notre histoire faussent notre perception. La dualité bourreau-victime est une illusion ;
- la vérité, c’est-à-dire la compréhension de l’évènement sans jugement, n’est accessible que par la compréhension de sa propre histoire ;
- aucune technique journalistique ne peut permettre d’accéder à la vérité comme le fait la connaissance de soi ;
- seulement la miséricorde sur sa propre histoire procure la miséricorde sur les évènements du monde. La connaissance, la compréhension consolatrice nous réconcilient avec nos soi-disant bourreaux. Nous passons du besoin de séparation au besoin d’union ;
- la vérité de notre histoire, par un travail intense sur soi, est une vérité relative. Notre imperfection humaine est définitive !
- il n’y a pas de vérité avec un grand V. Où est la cause des causes ?
Pour lire l’article en entier, REFLETS n °35 pages 49 à 50