Jean-Guilhem Xerri est psychanalyste et biologiste médical des hôpitaux, diplômé de l’Institut Pasteur et de l’École Supérieure de Commerce de Paris. Il est président d’honneur de l’association « Aux Captifs la libération ». Il a été membre du Conseil National des politiques de Lutte contre l’Exclusion et de la Conférence Nationale de Santé. Il est auteur d’articles et d’ouvrages sur les questions du soin, de l’humanisme et de la charité. Son dernier livre est paru en novembre 2014 : « À quoi sert un chrétien ? » Ed. Le Cerf
Au premier abord, le couple soignant/malade ne s’intéresse qu’au corps. Mais l’humain est inséparable de sa chair. La souffrance de la maladie mortelle dépasse le somatique et le psychologique. Dr Jean-Guilhem Xerri propose d’oser aller plus loin. Faire progresser le soin, c’est chercher comment prendre en compte la nature spirituelle de l’homme.
Pour la première fois, l’humanité parvient à se soigner, à la fois grâce à l’amélioration des conditions d’existence et aux progrès considérables de la médecine scientifique depuis les années 1950. Mais, au-delà de ses aspects de technique, d’organisation et de moyens, la question de la maladie et donc du soin est profondément spirituelle. Le couple maladie/soin est une histoire d’Homme, et donc d’hommes et de femmes, de chair et de sang, d’intelligences et de passions, de vie donnée et de vie reçue. Il est une histoire entre des personnes fragilisées et d’autres qui tentent de les soulager, avec ce qu’ils sont ; les uns devenant un jour les autres.
La primauté actuelle de la rationalité technique oriente l’action de soigner vers le faire et le savoir-faire. La pression croissante des considérations économiques la conduit à être un objet de processus et donc d’évaluation. Le modèle anthropologique séparant le corps et l’esprit amène de fait à dissocier la personne de la souffrance qu’elle éprouve. Enfin, l’histoire de notre pays et la sécularisation de notre société renvoient les considérations spirituelles et philosophiques, et encore plus religieuses, dans la sphère privée. Tous ces éléments contribuent à ne pas interroger le sens, ou tout au moins à rendre difficile la formulation de questionnements d’autres ordres que strictement technique, économique ou au mieux éthique. Les dimensions de la souffrance et du soin qui dépassent le somatique ou le psychologique sont souvent ignorées et mises de côté.
Pourtant, la maladie, et particulièrement le cancer, va interroger la personne dans ce qui fonde son identité profonde, parfois jusqu’à la faire vaciller. Dans la souffrance, quelle qu’en soit la porte d’entrée, l’identité est en crise.
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Parce que la souffrance a des conséquences sur l’identité profonde, le soin ne peut pas se limiter à une approche technique soutenue par une représentation dissociée corps/ esprit de la personne. La démarche scientifique de la médecine doit s’associer à une attention à la globalité d’une personne singulière, perçue dans l’histoire de son existence, en lien avec un environnement. Aujourd’hui, de nombreux modèles montrent que la souffrance est un phénomène bio-psycho-social qui implique l’être entier. Envisager une prise en charge globale complète implique de considérer que l’Homme, le soignant comme le bénéficiaire du soin, est un être bio-psycho-social dont les besoins corporels requièrent d’être associés à des besoins psychologiques et sociaux. Il faut oser aller plus loin et considérer qu’il est aussi bel et bien un être spirituel ouvert à l’expérience intérieure, consentant à son mystère, confronté à l’énigme d’avoir à souffrir, à mourir, cherchant un sens à son histoire.
Face à des tendances lourdes qui façonnent une humanité déshumanisée, l’enjeu consiste donc à développer une vision de l’homme sous son angle spirituel. Faire progresser le soin, c’est chercher comment prendre en compte la nature spirituelle de l’homme. Soigner pleinement un patient, c’est aussi lui reconnaître une vie spirituelle. Mais l’ignorance des sujets spirituels persiste dans la médecine contemporaine de l’Occident. La philosophie occidentale a surtout pensé le spirituel en opposition au matériel sous des catégories religieuses dont il peine à se séparer. Cette pensée dichotomique nous imprègne tellement qu’il nous est difficile de penser l’unité de l’être. Mais peut-on se satisfaire de considérer que le spirituel est une dimension de l’homme parmi d’autres, qui se situerait à côté de ses autres dimensions physique, psychologique et sociale et au même titre qu’elles ?
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Il nous semble que la souffrance spirituelle n’est pas qu’un aspect de la souffrance globale. Il ne s’agit pas d’une question particulière, référée à une compétence particulière. Il s’agit, au contraire, d’une question centrale touchant à la nature même de la personne humaine et de son accompagnement. Les besoins spirituels ne sont pas que des besoins spécifiques, ils sont liés aux autres besoins et les sous-tendent. Ils ne font pas partie d’une classe à part, ils englobent l’être entier. Il n’y a donc pas de recette spirituelle à offrir à l’autre souffrant. Il n’est pas en « manque » de spirituel. Le besoin s’exprime dans une attente ou une demande de relation avec l’autre, de vérité, d’authenticité, de confiance.
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