Facebook regorge de photos et d’idées en tout genre. J’ai « scrawlé » sur Facebook. Autrement dit, j’ai balayé l’écran avec mon pouce à la recherche d’informations pour me distraire après une bonne journée de travail. Ma découverte : une photo d’une cabine téléphonique des années 80, vestige d’un temps déjà passé, et juste à côté, fixée au muret, la boîte aux lettres jaune, résistante aux temps. La légende humoristique de l’image : « Voici mon Smartphone et mon mail de l’époque ». Aussitôt, mes souvenirs me ramènent aux tapotements sur la vitre des gens impatients, aux gestes de ma main droite enfilant les pièces de monnaie pour maintenir la conversation téléphonique avec mes « potes », la main gauche tenant le combiné sur l’oreille homolatérale, l’épaule crispée et collée contre la main pour le fixer. Le rendez-vous est pris, l’exactitude du lieu et de l’horaire confirmée. Nous arrivions sans iPhone. Les réseaux sociaux n’existaient pas, le minitel en était les prémices. C’était il y a 40 ans. Depuis, le nombre d’amis sur Facebook, Instagram ou tout autre réseau est une référence. Que pensent les 20-35 ans de l’amitié sur les réseaux sociaux ? Et les « experts » du numérique ?
Créer des liens, oui mais comment ?
L’émission radio « on est fait pour s’entendre » (https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/les-amities-sur-les-reseaux-sociaux-sont-elles-reelles-7800823764) a ouvert un espace d’expression, fin 2020, à plusieurs intervenants venus d’horizons différents, tous observateurs du monde numérique. À la question, « l’amitié est-elle redéfinie ? », il est mentionné : « Si certains se servent des réseaux sociaux pour garder contact avec leurs amis quand ils ne peuvent pas se voir, d’autres y font de nouvelles rencontres. Une nouvelle façon de créer des liens derrière son écran, et une façon de faire qui peut permettre plus facilement d’aller vers l’autre, de s’ouvrir, sans avoir cette timidité qui peut inhiber dans le réel. »
Marie, infirmière de 26 ans et Savio, 20 ans, qui va intégrer à la rentrée une école d’ostéopathie, ont un faible intérêt pour les réseaux sociaux. Ils confirment une utilisation destinée à rencontrer d’autres personnes, facilitée par la technologie L’amitié est « dans le pré » ou sur un terrain de bitume en ville avec Discord, un logiciel de messagerie instantanée, à l’origine créée pour les gamers de jeux vidéos, mais qui a su se réinventer pour la discussion et le partage d’informations. Jonathan a la trentaine, il est salarié dans une entreprise produisant des pièces mécaniques. « Son truc à lui » comme il dit, c’est l’univers des jeux vidéos et de ses multiples amis virtuels. Au début de notre conversation, me parlant de ses amis, de leurs défauts et qualités, je les imaginais pour de vrai ! En réalité, ils sont tous virtuels. Il appartient à une communauté qui partage ce que le virtuel lui envoie, se sentant incapable de vivre une vie aussi intense dans le réel. « Nous vivons dans un monde pourri où l’amitié virtuelle me permet de survivre ». Comme l’écrit Sabrina Philippe dans son livre Tous fake Self (cf. Reflets numéro 44) « le terme d’ami est réservé à l’ancêtre des réseaux sociaux, à savoir Facebook, qui a véhiculé à ses débuts de belles histoires de retrouvailles avec nos amis de lycée ou notre premier amour. Mais nous étions encore sur l’ancien modèle, celui où le virtuel épousait le réel pour mieux le servir. Peu à peu, en nous retrouvant avec des amis d’amis que nous ne connaissons pas, notre estime de nous a été flattée. Des personnes rarement rencontrées avec un lien de connexion de plus en plus nébuleux. La réalité s’est éloignée. C’est donc un sentiment de solitude non plus seulement devant l’écran mais directement dans l’écran qui en a émergé. ».
Réseau social, zéro social
L’être humain est de par sa nature attiré par la sociabilité, renforcée par l’inconfort du sentiment de solitude. Les réseaux sociaux seraient-ils accélérateurs d’un processus visant de manière inconsciente à isoler de plus en plus les gens ? Le réseau social devient alors le zéro social avec une désespérance aggravée pour la personne en quête d’une amitié sincère. Pierre Soubiale, professeur de philosophie, se questionnant sur le sujet, l’exprime ainsi : «On a toujours dit que l’amitié était quelque chose de rare. Aujourd’hui, on peut se demander si cette amitié que l’on peut définir d’authentique, n’est pas noyée par ces amitiés superficielles. L’amitié suppose également une vie et des activités communes, et non seulement le fait de communiquer». Pour Mickaël Stora, psychologue, psychanalyste et cofondateur de l’O.M.N.S.H (Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines) « l’amitié est nécessaire à l’humain dans sa capacité à avoir des espaces en dehors du couple et de la famille, mais les réseaux sociaux devraient pousser encore plus les gens à se rencontrer en vrai ».
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Pour lire l’article en entier REFLETS n°49 pages 45 à 47