Ce samedi 4 décembre 2021, nous apprenons le décès de Pierre Rabhi.
Depuis des mois, nous avions décidé de lui consacrer la rubrique « Vers la conscience » dans ce numéro.
À quelques jours de mettre sous presse, nous n’avons pas le temps de modifier et d’en faire un panégyrique.
Veuillez considérer cet entretien comme un ultime hommage à ce précurseur de l’écologie active et altruiste.
Nous présentons nos condoléances à Michelle, son épouse, et à ses enfants.
Que son âme trouve le repos qu’elle mérite !
La ferme de Pierre Rabhi, au milieu de nulle part dans la montagne ardéchoise, couverte de chênes-lièges et de châtaigniers, n’a pas changé depuis notre dernière visite en 2013 (Reflets n° 10). Quelques agrandissements pour laisser de la place à ses collaborateurs (trices). Lui-même n’a pas changé. Les années suivent leur cours, son message est toujours aussi net : aller vers la sobriété – heureuse –, arrêter de surconsommer. Cependant Pierre Rabhi semble désabusé. L’écologie, qui devait être une conscience, est devenue une problématique parmi d’autres. www.pierrerabhi.org
Où en est l’humanité aujourd’hui ?
L’humain a confondu aptitude et intelligence. Il faut beaucoup d’aptitudes pour concevoir une bombe atomique mais ce n’est pas intelligent de la fabriquer. Il faut essayer de retrouver l’intelligence, non pas dans les performances humaines mais dans l’esprit. Nous ne sommes qu’une petite anecdote. Si on prend le ratio de 24 heures de la vie de la planète, nous sommes présents depuis une minute et demie, deux minutes, c’est tout. Donc, nous sommes dans une sorte d’insignifiance. Il y a des espèces qui sont venues sur terre puis ont disparu, remplacées par d’autres. Le courant général de la vie est tellement énorme et gigantesque. L’homme fait beaucoup de mal à l’homme. Il tue bien plus que le virus. On est hors intelligence de la vie. Si nous sommes venus sur Terre pour nous faire souffrir, faire souffrir et finalement créer des situations tragiques sur cette merveilleuse planète, cela signifie que quelque chose ne va pas.
Il y a quelques années, j’écoutais les informations peu réjouissantes. J’appelle Jean-Marie Pelt, un ami éminent scientifique. Je lui dis : « Sauf à croire que Satan existe, je ne comprends plus rien ». Il me répond alors : « Tu en doutes ? » « La plus grande ruse de Satan, c’est de laisser croire qu’il n’existe pas », disait Bernanos.
Dans votre livre, il y a une phrase qui m’a marqué, parce qu’elle est très claire sur ce que vous venez de dire, « le transhumanisme, c’est l’obsession de maîtriser le vivant ». C’est bien un projet démoniaque ?
On peut l’interpréter comme ça. L’être humain est trouillard. Il sait avec certitude qu’il va mourir, ce n’est pas un scoop. Même Mr Bill Gates, avec ses milliards, est inscrit sans aucune dérogation. Après reste la vie, qu’est-ce que l’on en a fait ? Que signifions-nous dans cet immense mystère, sur cette magnifique planète Terre, au milieu d’un énorme désert astral et sidéral ? Je suis admiratif et respectueux de cette vie. Pour moi, l’écologie, c’est apprendre à admirer la vie avec son mystère i n e x p l i c a b l e , vibrant à la beauté. Pourquoi nous ne le faisons pas plus que ça ? Au contraire, nous sommes des êtres tourmentés où la mort domine notre psyché. Pourquoi sommes-nous arrivés à une telle aberration de toujours plus servir la mort en détruisant la vie ? Je me pose cette grande question aujourd’hui : quel est ce phénomène que l’on appelle l’être humain ? J’en suis là mais je n’ai pas de réponse.
Et la foi, ce n’est pas une réponse pour vous ?
Chacun vit ce qu’il a envie. Je ne fais pas de censures. Mais, les religions et leur fondement auraient dû nous apprendre à admirer le joyau de la création divine et non pas le détruire. Chaque tradition et sa théologie pensent avoir raison. Mais on n’a pas pris en compte ce message central et extrêmement important, celui de Jésus qui n’a parlé que d’Amour, même pour nos ennemis. Cela arrête le processus négatif. Je suis chrétien, dans le sens d’adhésion à ce qu’il a révélé, même si aujourd’hui je ne me revendique d’aucune religion. Si l’Amour était la principale vibration sur cette planète, pas besoin d’imaginer un paradis. Bien sûr, il y a les scorpions. J’ai failli mourir de la piqûre d’un scorpion sous ma nuque, comme une initiation à la vie. Mais, pour s’initier à la vie, il ne faut pas être enchaîné à des croyances ou à des choses qui ne se vérifient pas. Ce Nazaréen, fils de Dieu, a essayé de remettre en question tout le précédent des croyances bibliques y compris l’aspect « machisme ». Pourquoi y aurait-il un Dieu ? Pourquoi n’y aurait-il pas une Déesse ? Et pourquoi le Dieu est-il masculin ? Pourquoi ne serait-il pas féminin ?
Pensez-vous que ce message christique d’amour peut sauver la vie, sauver la vie sur terre et sauver la vie des humains ?
Bien entendu, à la condition que soient libérés protestants, catholiques, orthodoxes. Au nom du Christ, on a fait les croisades. C’était pour récupérer des richesses de l’Orient, aller défendre le tombeau du Christ avec Jésus comme caution. C’est totalement mortel, anti-amour, anti-Christ et anti-divin.
Est-ce qu’il ne faut pas justement que l’humanité arrive à ce fond pour pouvoir remonter de ce côté-là ? Avec ce que vous disiez sur le machisme, ne va-t-il pas y avoir ce retournement possible, une prise de conscience ?
On aura beau s’agiter, la nature mettra les limites. On tue même la terre qui nous nourrit. Nous mettons des poisons dedans. C’est pour cela que je suis agroécologiste. Cet empoisonnement est une profanation du divin qui n’a pas dit « mettez des engrais chimiques ». Cette terre vivante est faite pour nous donner la vie mais à la condition que nous-mêmes, nous prenions soin de ce qu’elle est. Nous en sommes arrivés au suicide. Les forêts sont massacrées, depuis l’avènement de l’agriculture, c’est-à-dire il y a 10 à 12 000 ans, quand l’être humain de cueilleur, chasseur, pêcheur est devenu agriculteur. C’est d’ailleurs ce qui a donné les lettres de noblesse à la culture. Qu’est-ce qu’est devenu l’être humain ? Il faut prendre conscience de cette réalité et rentrer en connivence avec la terre et les animaux.
Qu’est-ce qui vous motive encore à votre âge ?
Je ne me reconnais pas de mérite particulier car si je ne faisais pas ce que je fais, je ne serais pas heureux. Il y a les enfants, les miens bien sûr, que nous avons eus avec ma compagne de vie, et les enfants d’une manière globale. Nous sommes dans une forme de trahison grave des générations qui arrivent que l’on va mettre dans un traquenard épouvantable, sans commune mesure avec un déjà vu dans le passé de l’histoire humaine. Ce qui me motive, c’est de ne pas baisser les bras ! Il est possible que la vie que nous menons, avec les soucis que nous avons, les douleurs, les joies, use énormément, et soit responsable de notre difficulté de survie.
Si nous ne nous transformons pas, rien ne se transformera. C’est le travail sur notre évolution qui va induire l’évolution sociale, pas l’inverse.
Avez-vous l’espérance que cette évolution puisse se produire ?
L’humain est égal à lui-même depuis des millénaires, les conflits permanents, les meurtres permanents. On n’a pas réussi à transcender tout ça pour évoluer vers l’élévation, une élévation de conscience qui amènerait vraiment à une mutation sociale. Je fais tout pour que ça arrive. Dans Colibri, j’apporte ma petite part positive pour que ça aille dans le bon sens. Je crois à la contamination
positive et quand il y a contamination, il y a propagation. Il faut donc travailler à cette contamination positive.
Pour lire l’article en entier, REFLETS n° 42 pages 69 à 72