Au cœur de l’Occident mystique
L’aventure des béguines, car c’en est une, aura duré un siècle environ. Elle a permis de témoigner qu’une communauté laïque chrétienne était possible. Le contexte de l’époque l’a fait disparaître. Mais le souvenir, même lointain, de cette utopie fragile avait laissé une trace impalpable. Des femmes ou des hommes avaient pu, durant plus d’un siècle agir dans le monde tout en menant une vie fraternelle et contemplative. Il est toujours intéressant et significatif de voir qu’une expérience, si elle a du sens, ne meurt jamais vraiment. Elle réapparaît, autrement, sous des modalités différentes. Les béguines sont toujours là, justement dans une société contemporaine en recherche d’autre chose que la culture de la compétition. Les béguinages réapparaissent depuis une dizaine d’années, sous ce nom. Par ailleurs, un phénomène, qui a d’autres modalités de vie communautaire, se fait jour sous des appellations très variées.
De nouveaux béguinages ?
Depuis les années 2000, et sous le nom fréquent de béguinages, se construisent un peu partout en Europe et surtout en France des structures qui ont gardé un lien avec les anciens béguinages. Plus d’une centaine de projets sont en cours ou déjà en place. Strasbourg a, par exemple, un projet de béguinage en partenariat avec le diocèse catholique. Mais les temps ont changé. Il s’agit dans cette nouvelle version de garder l’atmosphère fraternelle, le lien avec le monde, une sensibilité chrétienne. La population n’est cependant plus du tout la même. Les béguines du Moyen-âge étaient jeunes, avaient une activité rémunérée, et une propension à témoigner de l’évangile, ce qui, nous l’avons vu précédemment, leur a causé des difficultés avec le clergé.
Ces nouveaux béguinages ont une relation avec l’église catholique qui souvent leur attribue, dans des contrats spécifiques, des immeubles lui appartenant. Ces bâtiments sont réaménagés avec des appartements et un local partagé de prière. Mais ce sont des personnes âgées et non dépendantes qui font ce choix de vie. Couples ou célibataires, ils ou elles, choisissent de vivre, non pas dans une communauté mais dans un contexte de proximité, avec partage des charges communes, et en général un lieu ou des lieux communs de partage.
Les coûts étant partagés, la charge financière est moins lourde que dans un EHPAD classique et ces personnes peuvent vivre dans un environnement en accord avec leurs sensibilités religieuses.
Des communautés nouvelles d’inspiration chrétienne
Ces communautés sont nées dans le sillage du concile de Vatican II. Mais, sous une forme assez proche, elles existent aussi dans les milieux protestants.
Dans la mouvance catholique, le désir est aussi radical que chez les anciennes béguines : vivre en communauté dans la plus totale simplicité évangélique, le plus souvent mais pas toujours, dans des villes. Leurs noms sont divers, et leurs formes également : Béatitudes, Chemin Neuf, Focolari, Fondacio, foyers de charité, maisonnées etc…chacune ayant sa vocation propre. Elles regroupent laïcs, couples, religieux, sous des formes très souples en se fondant d’une charte partagée.
Les protestants développent de leur côté des églises de maison en relation avec leurs différentes églises ou temples. L’accent va être mis sur le partage fraternel, des rencontres amicales ou festives. Souvent l’étude de la Bible est mise en avant.
Des communautés laïques ou informelles
Elles sont de plus en plus nombreuses et échappent à toute quantification. Il suffit de consulter Internet pour constater que leur liste est volumineuse et fréquemment mutante. Il leur arrive d’être aidées par des collectivités territoriales sur des points précis, avec des contrats formels. Elles sont présentes dans toute la France. L’objectif est très souvent le même, se réunir pour s’entraider et sortir des cadres urbains. Leur durée de vie est aléatoire. La référence spirituelle est rare mais inconsciemment s’y retrouve l’esprit de solidarité qui imprégnait les béguinages.
Il arrive aussi, et leur observation échappe à toute analyse, que des groupes amicaux se transforment, parfois sans le savoir, en béguinages informels. Des personnes achètent ensemble une grande maison ou un petit immeuble et vivent une vue communautaire connotée d’une spiritualité plus ou moins affirmée.
L’esprit du béguinage, une utopie toujours en devenir ?
Le christianisme, cela est parfois oublié, est avant tout une spiritualité de l’incarnation du divin dans notre espace-temps. Il a donc donné naissance, tout au long de son histoire, à des utopies, c’est-à-dire étymologiquement des créations bien de ce monde mais hors des violences de ce monde. Un des exemples les plus célèbres sont les républiques jésuites du Paraguay dont le célèbre film Mission a relaté la tragique expérience. Dans ce dernier cas, ces républiques jésuites ont, durant deux siècles, créé des entités amérindiennes libérées des violences coloniales. Les béguines, avant eux, avaient également instauré des « républiques » féminines libérées de l’oppression des clergés masculins.
Cet ADN évangélique est ancré dans l’inconscient collectif des chrétiens au-delà de leurs églises. C’est un véritable fonds commun. Il apparaît puis disparaît pour réapparaître. Le renouveau actuel de l’esprit du béguinage n’est en soi absolument pas étonnant. Il fait partie de ces espérances indestructibles de l’être humain, toujours en devenir, esquissant un avenir de fraternité dans ce fameux royaume aux frontières impalpables qui parsème les Évangiles.
http://www.laspiritualitedelabeaute.fr/
Gérard-Emmanuel Fomerand
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