L’infini passe l’homme
Il a toujours été assez courant d’avoir une image anthropomorphique de Dieu, du moins chez les personnes qui ont gardé cette sensibilité de croire en un Dieu créateur de l’univers. Suivant les cultures, se sont greffées d’innombrables représentations divines, elles-mêmes corrélées à des compilations de dogmes à accepter sous peine d’exclusion d’une société dite chrétienne voire de répression.
Dans notre occident contemporain et amnésique, oublieux que, durant des milliers d’années, l’humanité avait bâti des systèmes parfois très complexes d’explications de ses différents univers par des ou une puissance hors de toutes mesures, nous en sommes arrivés à la situation d’aujourd’hui : tout un éventail de retombées, allant d’un matérialisme destructeur à la résurgence de fanatismes idéologiques ou « religieux », voire terroristes.
Paradoxalement, et depuis la plus haute antiquité, d’autres modalités spirituelles ont affirmé l’existence d’un chemin totalement différent, sans forme, inconnaissable, à dire vrai inconnu, mais largement ouvert non pas à une compréhension mais à une ouverture existentielle qui pouvait changer radicalement nos vies.
Le « Dieu inconnu » ou le Dieu inconscient ?
Pour Blaise Pascal, le « Dieu caché » est plutôt un Dieu qui se cache à un être humain aveuglé par ses propres ornières. Au début de la Genèse biblique, le « Où es-tu » adressé par Dieu à un Adam qui se calfeutre dans les feuillages est une question totalement intemporelle car toujours d’actualité. Où en sommes-nous dans nos vies ? Quelque part ou souvent nulle part ? Où en suis-je et finalement qui suis-je ?
Un neuropsychiatre contemporain, Victor Frankl (1905-1997) a éclairci le chemin des quêteurs de sens en apportant des éléments de réponse. Pour lui, et nous y reviendrons, et à l’opposé de Sigmund Freud à l’athéisme rationaliste, il existe un Dieu inconscient qui traverse les âges, les cultures et les religions et s’exprime dans des langues multiples que sont les formes spirituelles.
De nombreux témoignages
C’est l’un des sens de cette chronique sur l’Occident mystique.
Sans faire de leçon de morale à quiconque, rappeler, car nous l’avons souvent mis de côté, que des milliers voire des millions de personnes ont, depuis des milliers d’années, cheminé dans leurs vies pour les épurer peu à peu de ses violences intérieures donc extérieures, pour en arriver à une pacification de l’être et par là même à une pacification du monde.
Il est inutile de faire la liste de ces personnes
car elle est à la fois innombrable et d’une extrême diversité. Certaines ont avancé dans la clarté ou dans la lumière d’un personnage de l’histoire biblique ou évangélique, d’autres l’ont fait dans la totale obscurité, dans ce que l’un des mystiques anonymes du XIVème siècle britannique appelait le nuage d’inconnaissance. À dire vrai, cela remonte à fort loin…à ce Dieu en forme de nuée obscure ou flamboyante, à cet exode du peuple hébreux dans ses quarante ans de traversée du désert ou encore à l’affirmation de Jésus que Dieu, nul ne le connaît… Le Buisson Ardent contemplé par Moïse dans la Bible est aussi le symbole divin d’une main rougeoyante aux couleurs de braise ouverte sur l’infini comme nous le montre la photo ci-dessus. Ce symbole de la nuée a été développé par Clément d’Alexandrie, au deuxième siècle, puis repris par la quasi-totalité de spirituels rhénans durant près de sept siècles. En langage savant ou théologique, cette voie a été nommée apophatique…que l’on peut qualifier de chemin de la négation ou du rien. Nous voilà bien loin des rituels ou des formatages religieux. Mais cela s’est perdu dans les méandres de la modernité. Pour les mystiques rhénans, il fallait aller très loin, au-delà même de l’infini.
Nous revoilà de nos jours
plongés dans cette même nuée d’inconnaissance dans ce monde troublé qui est nôtre. Plus de repères, un vaste brouillard, rien de clair à l’horizon ! Mais n’est-ce pas là paradoxalement où tout redevient possible et que le néant ou le vide deviennent des matrices, porteuses et engendreuses d’un monde nouveau, qu’il soit personnel ou collectif ?
Un Dieu sans Nom, un chemin vers une autre vie ?
Notre planète et nous avec traversons une crise plus que profonde.
Soit nous en désespérons ; soit, au contraire, nous en faisons un signal d’espérance pour un autre monde pacifié, celui de chacun ou celui de l’humanité. Henry Le Saux (1910-1973) écrivait que Églises et religions appartenaient à l’ère néolithique qui s’achevait ou encore le père Alexandre Men (1935-1990) qui nous disait, à la veille de sa mort, que nous avions encore une lecture paléolithique de l’Évangile… N’est-ce pas là la même affirmation ? Dans nos désordres individuels et collectifs, n’y a-t-il pas ainsi un terreau fertile pour une autre humanité qui nous est proposée à travers l’obscurité de la nuée divine ? La paix n’est-elle pas au bout de nos chemins de vie dans les nuages impénétrables de ce Dieu sans forme que les anciens Hébreux nommaient de plusieurs noms, Seigneur, Je suis, Amour ou Paix ? De cette paix que Jésus nous laisse comme le disent les Évangiles. À nous de la trouver au fin fond de nos ombres et lumières…
Pour ce faire, il nous reprendre le bâton du pèlerin
et monter, une à une, les étapes des péripéties de chacune de nos existences, à travers ces nuées qui, au fil des jours, nous donneront sens et saveur à nos vies. Nous aurons alors trouvé, ou retrouvé, la voie du pèlerin.
Gérard-Emmanuel Fomerand
Cet article a 3 commentaires
Dieu…inconnu ; Dieu…inattendu. Tout est dans le “Je suis”.
Merci Jean Pierre….tout est bien sûr dans le “Je suis” qui est dedans et dehors, en nous et au-delà de nous
Et pourquoi une partie du tout ne serait-elle pas aussi dans « Celui qui suis » qui inviterait la partie de soi-même comme un autre, et celle de l’Autre en Soi ? Un geste métanoiétique appelé à faire cheminer, à faire retour vers Le « Je suis » primordial à la fois immanent et transcendant ? 🙏