Le Libanais sombre dans la dépression
Jean Sadaka*
La dépression est, sans exagération, une maladie chronique de marque libanaise déposée, répondant à des critères diagnostiques spécifiques. La dépression est l’un des troubles psychiatriques les plus fréquents dans notre pays. Si d’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), d’ici 2020, la dépression deviendra la deuxième cause d’invalidité à travers le monde, après les troubles cardiovasculaires, c’est l’inverse chez nous, et de loin.
Dépression en hausse au Liban
La dépression à la libanaise se caractérise notamment par une grande inquiétude, un sentiment de désespoir, une perte de motivation, une diminution du sentiment de plaisir, des pensées morbides et l’impression de ne pas avoir d’avenir en tant que citoyen, l’émigration vers l’Ouest paraissant la seule issue.
Dans le milieu médical libanais, le terme dépression majeure est souvent employé pour désigner cette maladie. Elle survient généralement sous forme de périodes dépressives qui durent plusieurs années de suite.
Causes
La guerre qui dure depuis 1975 au Liban, sous divers visages, est bien la cause primordiale de la dépression chez tous les libanais.
Au début de 2007, un quotidien libanais d’expression française, rapportait une augmentation des dépressions et des troubles anxieux manifestée notamment par une hausse importante de la consommation de médicaments qui peuvent “être achetés sans ordonnance et à volonté, y compris les antidépresseurs”, selon le quotidien.
À chaque fois qu’il y a une guerre ou une crise, pour surmonter leur sombre quotidien, les Libanais sont de plus en plus nombreux à recourir aux calmants et aux antidépresseurs.
Dans de nombreuses pharmacies, la hausse des ventes est de l’ordre de 30 %. Beaucoup de gens avalent des somnifères, sans suivi médical.
La majorité des patients ont des pathologies liées directement à la guerre, comme des troubles de l’humeur, l’angoisse d’être séparés des proches ou un stress post-traumatique. Parmi les autres patients, beaucoup souffrent de troubles liés indirectement à la guerre, comme l’impact psychologique des images télévisées, l’accumulation des traumatismes, l’identification avec les victimes. La guerre médiatique entre les adversaires politiques et le langage de la menace adopté par les responsables des deux bords angoissent les gens.
En 2006, durant les trente trois jours de guerre contre le Liban, l’armée israélienne a usé de toutes les armes sales et toxiques possibles : missiles, obus de 155 mm, munitions incendiaires, « bunker buster », bombes à phosphore, à implosion, à laser, à fragmentation … Ces armes ont été employées massivement et de façon délibérée contre des populations civiles – victimes de la guerre à plus de 90%. Des zones densément peuplées, aux superficies exiguës et confinées, ont été noyées sous les bombes. Autrement dit des armes de destruction massive. Le Liban a ainsi servi de laboratoire expérimental où toutes les règles minimales du droit de la guerre ont été rendues obsolètes.
La dépression économique
Le Liban subit de plein fouet les retombées économiques et sociales du conflit syrien. Compte tenu des liens historiques, économiques, sociaux et politiques qui unissent les deux pays voisins, le Liban a en effet maintenu ses frontières ouvertes aux réfugiés syriens. Aujourd’hui, leur nombre frôlerait les 2 millions. Soit un peu moins de la moitié de la population libanaise.
Pour ce pays pauvre en ressources, surendetté et à court d’argent, le grand point d’interrogation concerne ses capacités à trouver des solutions pour gérer l’impact de ce drame, qui exerce une pression économique et sociale insoutenable sur les communautés d’accueil.
Les réfugiés se concentrent surtout dans le nord et l’est du pays, où les communautés agricoles pauvres ont déjà du mal à joindre les deux bouts. Leur augmentation risque de freiner la croissance économique, d’aggraver la pauvreté et le chômage des Libanais et d’obérer les capacités financières, déjà tendues, d’un Trésor aux prises avec un endettement public qui a atteint 60 milliards de dollars en 2013, soit 140 % du PIB (un des pires ratios au monde).
La dépression politique et les tirs de célébration
Depuis des mois, les Libanais observent avec angoisse leurs dirigeants se déchirer autour de l’élection difficile voire hypothétique d’un nouveau président. Le Parlement étant paralysé depuis deux ans en raison des profondes divergences politiques. Le Liban porte toujours les marques de la guerre. Une forme de folie hédonique plane sur le pays. On tire en l’air pour célébrer un mariage, un examen réussi, sa victoire aux élections municipales ou le discours d’un politicien même si cette tradition fait de plus en plus de victimes. Les tirs de joie sont très courants dans ce pays où les armes individuelles pullulent depuis la guerre civile (1975-1990).
On estime qu’il y aurait près de 4 millions d’armes légères au Liban, soit une arme par personne.
La dépression des chrétiens libanais
Il y a un véritable tabou au sujet de la dépression notamment dans les milieux chrétiens. Le chrétien doit être toujours joyeux, tenir bon et être fort, être zélé et faire tout ce que sa main trouve à faire, avoir le cœur en paix etc. La personne qui vit une dépression, au contraire, éprouve une profonde tristesse, une fatigue accablante qui la tient en retrait des activités habituelles de l’église, des idées pessimistes, parfois même morbides, qui viennent tacher la belle espérance qu’elle avait en Jésus. Les repères s’envolent, et le raccourci est bien vite pris : « Un chrétien ne peut pas être dépressif… La dépression est la maladie des païens ». Voilà la souffrance d’un peuple qui perd son âme.
Rechercher une relation intime avec Jésus Christ
La maladie est connue depuis l’Antiquité. On en parle aussi dans la Bible, à propos de Job (livre de Job), d’Élie (1Rois 19), d’autres encore.
Dieu panse les cœurs brisés et libère les captifs (Ésaïe 61.1). Jésus a connu la même détresse que nous, libanais. Au jardin des oliviers, il est abattu par la vision des souffrances qu’il va subir : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ». Cet état d’impuissance devant la douleur, ce sentiment d’abandon, cette crise d’angoisse mortelle, Jésus les a vécus ! Et il va commencer sa prière par cette formule « Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe » ! Cette prière de découragement dans la tourmente montre qu’à ce moment sa souffrance est extrême, peut-être le moment le plus dur de la Passion.
Mais cette tentation de tourner vers Lui sa prière, il va la vaincre rapidement en rajoutant cette phrase : « Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux ».
Jésus en prière dans la souffrance a comme nous libanais demandé d’éviter les épreuves. Si malgré sa puissance divine, sa sainteté, et la connaissance de l’amour de son père, Jésus a pu très momentanément avoir cette tentation, alors il est normal qu’en cas de détresse, nous puissions succomber à cette tentation de guider l’action de Dieu.
Vaincre la dépression par la prière
Une solution : Prier. La dépression est une vraie maladie qui peut être soignée par la médecine, mais aussi par la prière, et mieux encore, par les deux à la fois : «Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur, écoute mon appel. Que ton oreille se fasse attentive à l’appel de ma prière » ! Ps 130 (1-2).
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*Notre correspondant au Liban est écrivain, journaliste et chercheur spécialiste en Sciences Religieuses. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages français d’inspiration religieuse et ésotérique dont récemment Le nombre 7, symboles, mythes et caractères, éditions L’Harmattan, Paris, 2016 ».
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