La filmographie de Claude Lelouch n’a cessé de progresser. En 1966, avec Un homme et une femme c’est le succès à Cannes. Puis avec Les uns et les Autres c’est un tournant, illustrant combien nous sommes tous interdépendants. Puis en 1988, il amorce un troisième virage en utilisant plusieurs caméras sur le tournage d’ Itinéraire d’un enfant gâté. En 2014, en Inde Claude Lelouch fait une rencontre marquante avec Amma. Aujourd’hui il continue à filmer car c’est SA VIE. Le cinéma est l’amour de sa vie. A plus de 80 ans il termine son cinquantième film, l’amour c’est mieux que la vie…
L’art comme une façon d’exprimer l’amour : Le cinéma comme art, tel que vous le pratiquez, va-t-il dans ce sens ? Qu’apporte-t-il selon vous ?
Toutes les œuvres d’art sont là, soit pour nous distraire, soit pour transmettre des idées ou un message. Il n’y a pas de livre, pas de film innocent. À chaque fois qu’on raconte une histoire, on véhicule des idées qui, si elles touchent le spectateur, ont une résonnance. J’ai fait cinquante films, chacun a laissé des traces, souvent inconscientes. Chaque histoire que l’on raconte est en soi une métaphore de ce qui peut arriver aux uns et aux autres. Effectivement, à travers tous les films, j’ai transmis des observations, mon inconscient, mon ressenti. Donc, on a la chance de faire des métiers qui peuvent, à un moment donné, avoir une résonnance pour les spectateurs. Dans ma vie, beaucoup de films, de livres, de tableaux ont laissé des traces. Les œuvres d’art sont là pour ouvrir notre esprit, nous donner à la fois de rêver et de progresser. Je fais un métier merveilleux, de transmission.
À travers les cinquante films que vous avez faits, y a-t-il une ligne directrice qui vous anime ?
J’ai envie de faire aimer la vie aux gens, malgré tous les défauts que l’on connaît. Je suis quelqu’un de positif et je me nourris du positif. Il y a deux sortes de gens, ceux qui veulent changer le monde et ceux qui veulent simplement s’y adapter. Et moi, j’ai toujours été heureux de pouvoir m’adapter au monde proposé. À travers mes films, j’essaie d’expliquer aux gens qu’il n’y a rien de mieux que la vie : c’est une course d’emmerdements au pays des merveilles.
Vous êtes un être spirituel. Nous vous avions rencontré quand vous filmiez Amma à la Villette. Qu’est-ce qui vous anime profondément ? Une foi en l’homme ? Est-ce qu’il y a une foi en Dieu qui vous soutient ?
Non, il y a ce que l’on sait, il y a l’acquis et l’inné. L’acquis, c’est ce que l’on a eu la chance de vivre ; l’inné, c’est notre inconscient qui, lui, est immortel, vient de très loin. Donc, on a deux intelligences, l’une rationnelle et l’autre irrationnelle, et c’est ce mélange de rationnel et d’irrationnel que j’essaie de mettre dans mes films : ce que je sais et puis ce que je ressens. L’inné est là pour toujours et l’acquis, c’est le comptable du quotidien. Il comptabilise mes emmerdements quotidiens et m’aide à les régler. Et puis, l’inné – notre inconscient – nous dit que nous sommes immortels, alors que notre part de rationnel nous dit que nous sommes limités dans le temps, une centaine d’années dans le meilleur des cas.
On sent -c’est votre réputation- que vous avez beaucoup d’amour pour les acteurs. Est-ce que ça influe sur vos films ?
Sans acteurs, un metteur en scène n’est rien. Les acteurs sont là justement pour trouver la façon d’exprimer les choses. Un grand acteur peut tout dire, à condition de trouver la manière de le faire. Les acteurs savent mieux que les autres dire certaines choses, même des horreurs. À un moment donné, je peux me permettre de dire à travers eux des choses difficiles à entendre : c’est la façon de les dire qui est importante. Je crois qu’on peut tout dire à condition de trouver comment le dire. Les acteurs utilisent le deuxième degré, le troisième degré, l’humour. L’humour joue un rôle très important : les gens sont plus attentifs à des acteurs qui ont de l’humour, qui dédramatisent et qui n’affirment pas. Il ne faut jamais rien affirmer, parce que personne ne détient la vérité. Donc, l’affirmation est gênante et les grands acteurs n’affirment jamais rien. Ils suggèrent, ils proposent, ils ouvrent des portes. Les gens qui affirment des choses sont très désagréables, dans un monde où personne ne détient la vérité.
Et qu’est-ce qui vous motive à continuer à créer aujourd’hui ?
Si je ne faisais pas ça, je m’emmerderais. Je m’emmerderais à attendre la mort. Alors, autant l’attendre dans la bonne humeur. Plus je serai occupé, moins je la verrai arriver. Quand je suis très occupé, je n’ai pas le temps de penser à la mort, parce qu’à l’âge que j’ai, normalement, je devrais y penser tout le temps. La création me permet de penser à autre chose qu’à la mort.
Et que préparez-vous actuellement ?
Je suis en train de terminer mon cinquantième film que j’ai eu la chance de faire pendant la Covid. Et donc, je suis en train de finir ce film pour pouvoir le sortir dès que les salles de cinéma vont rouvrir. Il sera prêt à la rentrée, au mois de septembre.
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Interview paru dans la revue REFLETS n°40