L’infini passe l’homme
Probablement depuis la nuit des temps certains lieux ont été chargés par l’être humain d’une énergie particulière : tellurique, cosmique, ou encore terroir sanctifié par un corps saint. Dès les premières années du christianisme, se répandit la coutume de l’enterrement « ad sanctos », c’est-à-dire de mettre les corps des défunts le plus près possible des restes d’un saint ou d’une sainte. Les célèbres catacombes de Rome en sont l’une des nombreuses illustrations dès le second siècle de l’ère chrétienne.
Dès lors, la coutume se fit de plus en plus fréquente au fil du temps, celle d’aller se recueillir sur la tombe des saints quelle que soit la distance à parcourir. Cette pratique n’est pas spécifique au christianisme car elle se trouve aussi dans la plupart des spiritualités. Mais elle possède des particularités qui lui sont propres.
Le pèlerinage extérieur
Dans notre monde occidental,
les pèlerinages sont, à dire vrai, innombrables et sur la plupart des continents. Il faut déjà différencier les démarches individuelles et les démarches collectives comme celui de Lourdes ou de Fatima. Ces derniers ont souvent pour but l’obtention de guérisons. Mais il y a des centaines de pèlerinages encore pratiqués le plus souvent en relation avec des apparitions mariales.
Le cas du chemin de Compostelle
n’a pas tout à fait le même objet. Il connaît d’ailleurs une revitalisation contemporaine avec près de 500.000 marcheurs par an partant de tous les endroits d’Europe. Il se fait la plupart du temps seul ou à quelques uns s’étalant ainsi sur plusieurs semaines voire des mois. Le ou la « jacquard » parcourt des centaines de kilomètres par tous les temps s’arrêtant à des étapes en général balisées où on lui tamponne son « passeport » de pèlerin.
Par delà les siècles,
les témoignages abondent sur les difficultés physiques ou psychologiques de cette démarche dont les causes sont profondément intimes. Les résultats sont au gré de chacun ou chacune. Mais, le plus souvent, il y a un détachement ou une relativisation des repères habituels qui scandent nos quotidiens. D’après les témoignages anciens ou actuels, le pèlerin revient chez lui changé voire transformé.
Une autre façon de pèleriner,
pour rendre cette voie accessible à tous, était, dans le passé, de suivre très lentement les labyrinthes des pavements d’église. Ils avaient une forme circulaire avec des symboles tout au long marquant autant d’étapes de maturation spirituelle. Ainsi, avec ses pas imprimés dans un sol avec une connotation sacrée, la personne entrait par une encoche symbolique et cheminait lentement jusqu’au centre vide ou orné d’une figure allégorique. Nous étions à la jonction des versants intérieurs et extérieurs du pèlerinage.
Le pèlerinage intérieur
Là aussi les exemples ne se comptent plus
car ils constituent une porte d’entrée dans nos labyrinthes intérieurs, dans les contraintes, joies ou souffrances de nos vies. De nos jours, ces parcours revêtent souvent deux aspects complémentaires. Ils existent de façon presque éclatée sous la forme de groupes de paroles aux contenus très différenciés avec parfois des objectifs thérapeutiques comme les Alcooliques Anonymes. La multiplication des regroupements informels de paroles est un phénomène actuel qui devient significatif. Un autre exemple se trouve à Obernai en Alsace où depuis octobre 2023, entre 15 et 20 personnes se rassemblent sur le thème d’une oasis d’humanité. Chacun ou chacune exprimera ce qui l’a traversé à un moment crucial de sa vie, une souffrance, un deuil, une fracture. Tous et toutes font part de ces déserts intimes où se trouvent souvent l’eau des profondeurs.
Mais, bien sûr, le pèlerinage est avant tout une porte ouverte
sur d’autres portes qui progressivement vont s’entrouvrir. C’est une sorte de discernement silencieux pour dénouer ses blocages émotionnels, ses traumatismes enfouis pour en dégager le sens qui, la plupart du temps, prend une coloration ou un contenu spirituel. Qui suis-je réellement et en vérité, quel est le sens de ma vie, où cela me mène t-il ?
Passer de la souffrance intérieure à la renaissance ou le Psaume des montées
Le Psautier hébraïque
est constitué de 150 psaumes qui sont tout autant de figures de verbalisation de l’expérience humaine. Il est la fontaine à laquelle s’abreuvent depuis au moins 3.000 ans les quêteurs de sens dans notre Occident. C’est l’un des plus précieux instrument d’évolution intérieure que nous a laissé l’héritage judéo-chrétien. Il est au cœur de la tradition ancienne et actuelle de l’expérience chrétienne. Il nous invite lui aussi à avancer sur nos chemins multiples. Sa méditation quotidienne nous fait gravir au fil des jours un parcours vers le haut de notre montagne intérieure nommé souvent Parvis de l’Éternel. Le Psaume 84 ou chant de pèlerinage est très parlant avec ses versets illustrant nos aspirations :
«Que tes demeures dont désirables…
Heureux les hommes dont la force est en Toi
Qui gardent au cœur Tes montées …
Ils marchent de hauteur en hauteur… »
Et tel est bien le sens de nos vies,
si du moins nous le voulons bien : le cheminement dans notre labyrinthe pour accéder, le jour qui sera le nôtre, à l’intime de l’intime, à notre propre centre où peut s’entendre le vent du désert.
Gérard Emmanuel Fomerand