La nature est un tout
Philippe Desbrosses
Fondateur d’Intelligence Verte, Philippe Desbrosses a été chargé de mission auprès du Ministère de l’Agriculture et expert consultant auprès de l’Union Européenne, membre du comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot, et du Conseil d’administration du CRIIGEN (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique), présidé par Corinne Lepage. Voir l’article “Un précurseur de l’agrobiologie européenne” -Reflets N°12.
Devrions –nous reconnaître un droit aux écosystèmes ? Un droit à la nature ? Dans quel but ? Philippes Desbrosses nous livre quelques réflexions sur les audiences publiques du Tribunal International des Droits de la Nature des 4 et 5 décembre 2015 à Paris, conjointement à la COP 21.
Le Tribunal est une initiative citoyenne unique pour témoigner publiquement de la destruction des conditions de vie sur Terre – que les États et les entreprises non seulement permettent, mais parfois encouragent – et proposer de nouveaux instruments juridiques visant à préserver la sûreté de la planète et les droits de ses habitants.
Le Tribunal des Droits de la Nature a été initié par la Global Alliance for the Rights of Nature en 2014. La première session, présidée par Vandana Shiva, s’est tenue à Quito en janvier pendant le Global Rights of Nature Summit ; puis la deuxième à Lima en décembre pendant la UNFCC-COP20, présidée par Alberto Acosta. La 3e session du Tribunal International des Droits de la Nature s’est tenue les 4 et 5 décembre à la Maison des Métallos conjointement à la COP21. Ce tribunal est organisé par la GARN en partenariat avec le mouvement ‘End Ecocide on Earth’ (EEE), NatureRights et ATTAC.
Le Tribunal des Droits de la Nature propose une alternative systémique à la protection environnementale ; il considère en effet la Nature comme un sujet de droit, dotant d’une valeur intrinsèque les écosystèmes pour lesquels il énonce le droit d’exister et de se perpétuer. Le Tribunal s’attache aussi à offrir une voix aux peuples autochtones afin qu’ils partagent avec la communauté mondiale leurs préoccupations et leurs solutions singulières concernant la terre, l’eau, l’air et la culture.
Le Tribunal International des Droits de la Nature s’inscrit dans une démarche aux objectifs multiples :
– promouvoir un changement des consciences,
– souligner la nécessité d’élargir le cadre juridique international et les législations nationales,
– ceci afin de garantir la sûreté de la planète par la sauvegarde de la biodiversité et le respect de la dynamique des écosystèmes.
La session de Paris COP 21 a statué principalement sur :
– les crimes climatiques contre la nature
– la fracturation hydraulique
– l’agro-industrie et OGM
– les mega barrages en Amazonie
– les défenseurs de la Terre Mère
– les écocides liés à l’exploitation pétrolière
– la financiarisation de la nature, considérée comme un crime
Le retour de l’un des juges ayant siégé à Paris, Philippe Desbrosses, marque pour REFLETS l’importance de cette initiative citoyenne dans le contexte actuel.
Son analyse
« L’ampleur et la gravité des exactions que nous avons eues à connaître étaient particulièrement impressionnantes. Les témoignages pathétiques que nous avons entendus, transmis par des victimes, nous ont beaucoup affectés et inquiétés sur l’avenir de notre planète. Elle est littéralement livrée au pillage et à la spéculation financière dans de nombreuses contrées du globe, au profit exclusif de quelques oligarchies et gouvernements complices des prédations. »
Quelques exemples
Le méga-barrage de Belo Monte qui va engloutir 5 000 km2 de forêt amazonienne, avec dégâts collatéraux, de l’amont à l’aval : sont concernées les routes et les constructions dans la forêt amazonienne. La présidente brésilienne Dilma Roussef spolie sans vergogne les droits des communautés autochtones et passe outre les mises en garde de l’ONU concernant les droits de l’homme.
Autres sujets : les gaz de schiste
Aux États-Unis, la fracturation hydraulique dans le seul État de l’Oklahoma, avec ses 30 000 forages, provoque près de 5 000 séismes par an, de 2,5 à 3,6 sur l’échelle de Richter et pollue les eaux douces des nappes et des rivières.
Vandana Shiva et José Bové ont plaidé contre la prolifération des OGM et de l’agriculture industrielle dans le monde ; ceci fait peser une lourde menace sur l’avenir des écosystèmes et donc sur leur capacité à nourrir les populations.
Avec les autres juges, nous étions atterrés par ce que nous avons découvert. Et en même temps, nous avons ressenti un très fort sentiment de solidarité et de fraternité. Nous avions le sentiment de faire quelque chose d’utile et d’urgent : faire évoluer la législation internationale et faire condamner les États et les multinationales à l’origine de ces destructions environnementales.
(…)
Aujourd’hui, la société civile semble impuissante devant les abus dont elle est victime. La cause principale de tous nos maux est la financiarisation de la société, la folie du capitalisme sauvage. On regarde la nature seulement sous son aspect utilitaire. Si elle n’a pas de valeur marchande immédiate, elle est détruite ou abandonnée. Or chaque maillon forme une chaîne. La Nature est un Tout et elle doit être sauvegardée dans son intégralité. Nous nous apercevrons collectivement de cette réalité quand il sera trop tard pour faire machine arrière.
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Ces crimes contre l’environnement vont-ils un jour être reconnus ?
C’est un dossier qui avance très vite car les initiatives dans la société civile se multiplient et convergent vers le même objectif : ne plus laisser faire les prédateurs de la planète.
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Pour lire l’article en entier, Reflets n° 19 pages 61 à 63
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