Neuropsychiatre, Boris Cyrulnik est connu pour avoir développé le concept de résilience.
Il est directeur d’enseignement du diplôme « Clinique de l’attachement et des systèmes familiaux » à l’université de Toulon. Il dirige des groupes de recherche sur la résilience. Il est également un homme engagé pour la protection de la nature et des animaux.
Selon le psychiatre, qu’est-ce la foi ?
Ça consiste à croire que quelque chose d’impossible à percevoir va arriver. Vous me dites que vous allez me donner 100 000 euros. Vous m’inspirez confiance, donc je vous fais foi. Mais bien sûr, vous allez me donner 100 000 euros ?
Certainement !
Donc, la réponse à votre question c’est je vous fais tellement confiance que je crois que quelque chose d’impossible à percevoir va arriver. C’est ma définition de la foi.
Est-ce que les fois sont égales ?
Toutes les fois sont égales parce que chacun pense que la seule vraie foi, c’est celle qu’il ressent. Si vous êtes musulman, vous aurez foi dans le coran qui décrit une représentation de quelque chose qu’il est interdit de percevoir. Si vous êtes chrétien, vous allez faire foi à d’autres paroles, celles de Jésus. Si vous êtes d’une autre ou même sans religion, vous allez faire foi à quelqu’un qui vous inspire tellement confiance ou dont vous avez tellement besoin, que cette foi-là sera pour vous la vraie, l’unique, puisque vous ignorez les autres et vous n’en avez pas besoin.
Donc, toutes les fois se valent pour un sujet. Mais pour quelqu’un qui ferait une enquête extérieure, comme un sociologue par exemple, il dirait qu’il y a des barèmes différents de la foi : il y a des gens qui ont la foi de manière inconstante, ils ont des moments de foi qui alternent avec des moments de doute ; il y a des gens qui ont une telle foi qu’ils deviennent fanatiques et se mettent à haïr ceux qui n’ont pas la même foi qu’eux.
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Est-ce qu’on peut augmenter sa foi ?
Oui. Si vous arrivez au monde aujourd’hui en Egypte, vous aurez beaucoup plus de chances d’acquérir la foi d’un musulman que d’acquérir la foi d’un chrétien qui réside là où le catholicisme est imprégné de la foi du Vatican. Et pourtant chacun est convaincu et ressent une vraie foi. Elle est variable selon les individus mais on peut l’augmenter puisque Dieu est invisible dans toutes les religions. La preuve c’est qu’il faut un interprète que chaque religion appelle prophète.
Pour les musulmans, c’est Gabriel et Mahomet. Pour les catholiques, c’est Jésus. Pour les juifs, c’est Moïse parce que Dieu, c’est une force. Le miracle d’avoir créé le monde et le miracle de nous avoir mis au monde, c’est vraiment invraisemblable, impensable. On ne peut pas percevoir cette force-là qu’on appelle Dieu, donc on ne peut qu’y croire, c’est-à-dire avoir la foi. La foi peut être variable au fil de notre existence : il y a des moments où on en a moins besoin et d’autres où elle est intense en nous.
Il y a des médiateurs de la foi qu’on appelle les prêtres, ou les mosquées, les cathédrales, les synagogues, les chapelles, les objets du culte, l’encens, les statues. Pour les religions qui n’ont pas peur des représentations, comme le catholicisme, la foi est médiatisée par les statues, les croix du Christ, des tableaux représentant le Christ, l’aventure des prophètes, des saints. Donc, le catholicisme privilégie l’art et les statues qui embellissent les cathédrales, les chapelles.
Je ne suis pas chrétien mais je trouve que les cathédrales sont des chefs-d’œuvre de transcendance spirituelle. Je n’ai pas la foi mais j’y rentre avec un sentiment qui me fait comprendre que certains ont la foi, parce que la cathédrale monte vers le ciel d’abord – elle représente quelque chose de magnifique – et vers une force, cette force mystérieuse, impensable, qui a créé le monde et nous a mis au monde. Et je comprends qu’on ait une élévation mystique, médiatisée par des objets comme les cathédrales, les chapelles, les prières, les chants religieux ou les cérémonies religieuses.
À votre avis, est-ce que la foi se développe en ce moment dans le monde ?
Ça se développe dans une certaine partie du monde et ça s’atrophie dans d’autres. Il y a des pays très chrétiens où la foi est en train de s’effondrer sans conflit, sans désespoir. Au Canada, il y avait presque une tyrannie chrétienne, les prêtres rentraient dans les maisons pour surveiller le ventre des femmes. La Sainte Catherine (la Catherinette), c’était une manière de faire remarquer aux femmes : « Tu as 25 ans, tu n’as pas mis au monde un seul enfant, tu n’as pas honte… ».
J’ai travaillé au Québec : il y avait une femme qui avait mis au monde 23 enfants et il y avait beaucoup de familles nombreuses de 16, 17 enfants ! En Italie, en Espagne, la Mama était divinisée parce qu’effectivement le corps des femmes a ce pouvoir incroyable de mettre au monde des êtres vivants. Les premières déesses sculptées ont probablement été des femmes enceintes, que ce soit dans l’art précolombien ou dans la préhistoire. C’est un miracle qu’un corps de femme possède ce pouvoir.
Et les femmes l’ont payé très cher : par cette divinisation, elles ont été réduites à la maternité, ce qui a entravé le développement de leur personnalité. Maintenant que notre culture valorise le développement de la personnalité des hommes et des femmes, on voit que la natalité s’est effondrée en une seule génération au Canada, en Italie, en Espagne et dans d’autres pays chrétiens, probablement parce que l’amélioration du fonctionnement de l’État rend la foi moins nécessaire. Quand un pays est bien organisé, on a moins besoin de foi. On a besoin d’une foi religieuse, qu’elle soit musulmane, juive, chrétienne ou autre, quand l’État est mal organisé. Quand les gens souffrent, la seule beauté, le seul espoir, c’est la foi dans le dieu de leur religion.
Au XVIIe et jusqu’à la fin du XIXe siècle, il y avait beaucoup de pauvreté en Allemagne et en France, et un taux de mortalité des femmes effrayant. La seule beauté, la seule dignité, c’était d’aller à l’église, et ressentir une élévation que gère cette force qui a créé le monde et qui nous a mis au monde, se sentir en partage de foi, sécurisé, encouragé par la foi des autres. Alors, ça répond à votre question : le fait de prier côte à côte est sûrement quelque chose qui augmente la foi. Le fait de se retrouver dans des endroits très beaux comme une cathédrale ou une chapelle, le fait d’y mettre des bouquets de fleurs, des ex-voto, des décors, augmentent la beauté et la beauté est une forme de transcendance. Donc ça veut dire qu’il y a des renforçateurs de la foi qui sont les rituels religieux, les cérémonies, et tous les objets qui la médiatisent.
Selon vous, quel est l’avenir de la foi ?
Autant le respect de toutes les religions est nécessaire, autant le fanatisme est un danger de l’excès de foi, cette foi non contrôlée qui vise à penser qu’il n’y a qu’une seule manière d’être humain, la sienne, et que tous ceux qui ne sont pas humains comme soi-même méritent la mort, d’où la notion de blasphème. Aujourd’hui, dans certains pays, on voit réapparaître une foi fréquentable, respectable, et on voit apparaître en même temps une foi morbide, le fanatisme qui éprouve la moindre variation comme un blasphème qui mérite la mort, au nom de la morale, au nom de l’insulte à son dieu. Et comme il y a plusieurs milliers de dieux sur terre aujourd’hui, on en finirait pas de s’entretuer !