Nous avons interviewé Véronique Margron dans son bureau, au sein de la communauté de religieuses dominicaines à Paris, dont elle est la prieure provinciale. Elle reçoit beaucoup de monde. Elle a beaucoup écouté, en particulier les victimes d’abus sexuels dans l’Église. C’est ainsi qu’elle a été touchée, bouleversée par les témoignages des victimes. Puis en octobre 2021, le rapport de la Ciase, remis par M. Sauvé, l’a indignée par l’ampleur, le nombre, la systématisation de ces crimes. En tant que présidente de la Corref, elle n’a de cesse de tenter de réparer.
Quel est le rôle de la Corref par rapport aux abus sexuels dans l’Église ?
Il y a plus de cinq ans, nous nous sommes demandé, avec la conférence des Évêques de France, comment nous allions essayer de faire face à l’ensemble de ces drames et de ces crimes ? Nous avons essayé de monter des formations internes pour les responsables religieux, pour les évêques, pour les prêtres. Nous avons vu, face à l’ampleur du phénomène qui commençait à s’avancer et devant l’extrême gravité du traumatisme pour les victimes, que nous étions incapables de faire face à un tel séisme.
Faire travailler ensemble via un médiateur des victimes et des agresseurs
Nous avons décidé la création d’une commission indépendante, la Ciase. La Corref est un des deux partenaires de l’Église de France avec la conférence des Évêques sur ces sujets, puisqu’il y a aussi des religieux impliqués (agresseurs comme victimes). Il y a de même toute la question des institutions religieuses, dont les écoles sous tutelle congréganiste. La lettre de mission à Monsieur Sauvé est signée du président de l’époque des évêques de France, Georges Pontier et moi-même.
Qu’entendez-vous par justice réparatrice ? Comment on peut réparer ces crimes ?
On doit réparer parce que c’est irréparable. Il faut partir de ce paradoxe. Personne ne répare l’enfance de quelqu’un. On aimerait bien mais personne ne sait faire ça. La justice réparatrice, est une longue démarche qui provient de toute la problématique de la justice restaurative, en particulier dans le monde anglo-saxon. On l’a vue à l’œuvre dans les crimes de masse, en Afrique du Sud, au Rwanda.
L’important, c’est la prise en compte de la parole de la victime
Nous avons choisi cette démarche puisqu’on est face à des crimes massifs. Si vous estimez qu’il y a 200 000 victimes des années cinquante à nos jours, même si vous en estimez 100 000, cela s’appelle un crime massif. Non un crime de masse parce que je ne veux pas croire que l’Église ait voulu cela. Par rapport à l’Afrique du Sud et au Rwanda, ce n’est pas un crime de masse, mais c’est bien un crime massif en termes de nombre et en termes de caractère systémique. La justice restauratrice ou restaurative, est une sorte de justice autre que la justice pénale qui malheureusement ne peut pas avoir lieu dans l’immense majorité des cas parce que les faits sont prescrits ou les agresseurs étant morts. La justice pénale met l’auteur au centre et la justice restaurative met la victime au centre. La question étant de savoir ce qui va pouvoir aider à la restauration de la victime. C’est une tout autre démarche qui peut être parallèle à la justice pénale quand celle-ci peut avoir lieu. L’important, c’est la prise en compte de la parole de la victime, c’est donner du crédit à son récit, manifester que nous prenons au sérieux ce qu’elle a subi et le mal qui a été commis.
Le mal subi a des conséquences traumatiques qui durent très souvent toute la vie. À partir de là, avec la personne, nous cherchons ce qui aujourd’hui va l’aider à restaurer sa dignité, sa confiance en elle. Cela peut être de l’argent, des réparations plus d’ordre moral. Qu’est devenu l’agresseur ? a-t-il eu d’autres victimes ? Certaines veulent voir les archives de la congrégation et d’autres veulent parler à de jeunes religieux pour leur dire ce que ça fait. C’est la seule justice possible quand vous ne pouvez plus mettre en accusation l’agresseur.
Dans cet aspect de la justice réparatrice, vous avez évoqué l’indemnisation, sur quelle base pouvez-vous indemniser ?
Sur la base de la justice réparatrice c’est-à-dire sur une base avant tout individuelle (là encore de partir de la victime), en aucun cas sur la base d’un forfait. On sait que des faits qui pénalement seraient peu qualifiés (par exemple des attouchements) peuvent avoir des conséquences traumatiques aussi violentes qu’un viol répété. Donc, la question, c’est bien de partir de ce rapport difficile entre la réalité du mal commis par l’agresseur et la réalité du mal subi par la victime. Et il n’y a que la victime qui peut raconter le mal qu’elle a subi qui peut durer toute la vie. Nous n’avons pas de barème parce que, dans notre optique, tout cela se fait avec une commission indépendante qui fera médiation entre la victime et l’institut religieux concerné. On ne peut pas être juge et partie. La Ciase nous a aussi appris cela : Le médiateur doit obtenir l’accord de l’institut. À la fin de la médiation, il faut que la victime se sente intégralement respectée mais aussi que l’institut se sente aussi respecté pour adhérer à la proposition parce que personne ne peut obliger l’institut religieux à quoi que ce soit. Tout repose sur l’intelligence des médiateurs.
Commission Reconnaissance et réparation : https://www.reconnaissancereparation.org/
Cela va concerner combien de victimes ?
Nul ne le sait. Si on se fie aux projections de l’Inserm, les victimes de prêtres et religieux/ses sont environ 200 000, plus ou moins 50 000. La Ciase a eu des contacts avec 5/6 000 personnes. Personne ne peut dire combien nous allons recevoir de personnes. Tout dépend de la façon dont les gens – et les victimes donc – vont avoir accès à l’information, surtout ceux qui sont loin de l’Église ; parce que pour celles que nous connaissons, l’information circule.
La commission des Évêques est indépendante ? Qui la compose ?
Oui, elle est indépendante. Pour la commission des religieux, c’est Antoine Garapon, ancien magistrat, ancien membre de la Ciase, spécialiste de la justice restaurative. Du côté de la conférence des Évêques, c’est Marie Derain de Vaucresson qui a été défenseuse des enfants dans la structure des défenseurs des droits.
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