Les difficultés auxquelles sont confrontées les Eglises chrétiennes ont au moins le mérite d’obliger les chrétiens à faire un bilan de 2.000 ans d’histoire. Sommes-nous au temps d’un déclin de cette spiritualité ou au contraire dans un renouveau au visage encore indiscernable ? Doit-on, comme le prêtre orthodoxe russe Alexandre Men, affirmer que le christianisme ne fait que commencer ?
Là est bien l’enjeu essentiel de notre époque qui ressemble fort à un temps de décomposition-recomposition marquant la fin d’un cycle de deux mille ans marqués par l’institutionnalisation du christianisme depuis que l’Empereur romain Constantin, puis ses successeurs immédiats ont transformé cette spiritualité de la transformation intérieure en religion d’Etat potentiellement impérieuse et répressive.
Actuellement, toutes les Eglises chrétiennes sont partagées par un double mouvement : soit s’agripper à des formes identitaires et codifiées d’un christianisme peu ou prou institutionnalisé, soit assister, et même participer, à une renaissance et à la fin de cet exil dans un christianisme des formes et des morales codifiées.
Nous assistons depuis peu à une renaissance discrète d’abord, puis de plus en plus affirmée, d’un christianisme intérieur plongeant ses racines dans la primitive Eglise, celle des saints et des ascètes d’Egypte ou de Syrie. Ce renouveau renvoie à cette première communauté apostolique des trois premiers siècles, véritable, et peut-être unique, utopie humaine réalisée de fraternité et de communion partagée.
Le terme d’Evangile intérieur nous vient de Maurice Zundel, (1897-1973), prêtre catholique suisse et l’un des plus grands mystiques chrétiens contemporains. Mais les sources en sont encore beaucoup plus lointaines. Elles remontent aux origines du christianisme. N’est-ce pas l’apôtre Paul qui en parle explicitement quand il met en exergue cet « homme intérieur » en écrivant :Même si notre homme extérieur s’en va en ruine, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. (2 Cor 4,16)
Jean de Bernières, (1602-1659), nous a laissé en héritage le terme de chrétien intérieur qui est bien la réalisation vécue par chaque homme et femme de cet Evangile intérieur dans sa vie quotidienne. Mais nombreux sont les saints et les saintes qui, jusqu’à nos jours, ont maintenu ce témoignage de la sainteté auquel invitait l’apôtre Pierre (1 P 1,15). Leurs noms sont innombrables, aussi bien dans l’Orient que dans l’Occident chrétiens. Certains ont été canonisés et d’autres sont demeurés dans le plus parfait anonymat, mais ils sont bien là encore, la plupart du temps inconnus ou méconnus.
Cette véritable irruption, ou plutôt résurrection, de l’intériorité est le signal le plus fort des mutations en profondeur du christianisme contemporain malgré les crispations identitaires ou fondamentalistes observées de ci de là et qui ne sont que les ultimes remous avant la renaissance en cours du christianisme. Les mutations sont nombreuses : résurgence massive et très variée de l’héritage hébraïque dans la conscience chrétienne, développement d’un œcuménisme réel à la base qui transcende l’œcuménisme institutionnel du Conseil Œcuménique des Eglises, renouveau des polarités monastiques dans l’ensemble des confessions chrétiennes, apparition d’un christianisme transconfessionnel dépassant les frontières et territoires d’Eglise, dans une unité en devenir mais qui est déjà là.
La renaissance chrétienne paradoxale à laquelle nous assistons est à la fois un retour aux origines apostoliques et évangéliques et un chemin inconnu auquel nous sommes tous invités. Une conversion intérieure individuelle et collective est sans doute le préalable incontournable à ce christianisme nouveau et curieusement très ancien.
Un retour aux origines de cette spiritualité est en cours, aidant ainsi à constituer l’une des réponses aux crises existentielles de nos sociétés. Dans notre monde mondialisé et aux repères de plus en plus virtuels, le christianisme renaissant à ses origines n’apporte pas une solution toute faite mais une invitation à vivre cet au delà de nous qu’est un Dieu incarné dans nos vies. Il rend ainsi l’homme capable de Dieu.
Malgré les incertitudes et les instabilités souvent meurtrières de notre époque, le message des Béatitudes est plus actuel que jamais. Si nous étions miséricordieux, dotés d’un coeur pur qui nous ferait voir Dieu, artisans de paix et affamés et assoiffé de justice (Mt 5,3-10), notre monde ne changerait t il pas radicalement ? C’est en ce sens qu’ Evangile intérieur et renaissance du christianisme sont intimement liés.
Gérard Fomerand est historien et analyste des mutations du christianisme. Il a publié, en 2012 aux éditions de L’Harmattan, La mémoire vive des mystiques chrétiens et, en 2013 aux Editions Fidélité de Belgique (diffusées en France par les Editions du Cerf), Renaissance du christianisme, le retour aux origines.