DESTIN REMARQUABLE
Krishnamurti, le sage libre
Maryline Hubaud
Un regard profond presque étrange, une présence qui se sent même devant sa photo, Krishnamurti rayonne la sagesse, palpable juste en observant l’image.
Le silence s’impose. Les traits sont en paix. Il émane quelque chose de particulier, un passage sur terre franchement pas ordinaire. Tout son parcours de vie est teinté d’une trajectoire hors normes, où seule la liberté et le lien avec l’essentiel le conduiront tout du long. Il se libère de tout dogme et sans hésiter il change d’orientation pour la pureté de la sensation de vérité en lui. Un maître, sans peurs, sans regrets, sans attaches : un précurseur.
Très tôt, la vie intérieure, la culture et la sagesse se sont imposées à lui. Krishnamurti est venu pour cela, c’est une histoire très étrange que la sienne, loin de nos réalités bien occidentales.
Né en 1895 d’une famille brahmane modeste, il est repéré, à l’âge de quatorze ans seulement, par la société théosophique comme étant le messie. Alors qu’il joue sur une plage avec son frère, Charles Webster Leadbeater, le dirigeant de la société théosophique , discerne chez lui celui qu’il cherche. Il dit avoir décelé une aura exceptionnelle chez le jeune garçon. Doté du pouvoir de lire les vies antérieures, il repère la mission de Krishnamurti comme étant « l’instructeur du monde » que les théosophes attendent. Très vite il le prend sous son aile pour l’éduquer, l’initier, lui donner l’enseignement nécessaire à la réalisation de sa destinée.
Déjà là, le destin se trace loin du commun. Krishnamurti adore cette éducation qu’il considère comme salutaire à sa vie. Et il s’y consacre totalement avec une réelle obéissance.
Jeune, il donne des séminaires et des conférences devant des milliers de personnes dans le monde entier. Rapidement, il apparaît comme un penseur de grande envergure, intransigeant et inclassable, dont les enseignements ne relèvent d’aucune religion spécifique, n’appartiennent ni à l’Orient ni à l’Occident, mais s’adressent au monde entier.
De santé fragile, il traverse des épisodes physiques difficiles, et c’est au cours d’un de ces moments de douleur intense, où en apparence il perd connaissance, qu’il vit un processus d’éveil spirituel :
[…] J’étais suprêmement heureux, parce que j’avais vu. Rien n’a pu jamais être identique. J’ai bu à l’eau pure et claire et ma soif a été apaisée. […] J’ai vu la Lumière. J’ai touché la compassion qui guérit toute peine et toute souffrance ; ce n’est pas pour moi-même mais pour le monde. […] L’amour dans toute sa gloire a intoxiqué mon cœur ; mon cœur ne pourra jamais se refermer. J’ai bu à la fontaine de la Joie et de l’éternelle Beauté. Je suis intoxiqué de Dieu.
À partir de cette expérience, ses ressentis se modifient, et il se distancie de l’enseignement et de l’éducation qu’il reçoit.
La mort inattendue de son frère adoré, avec lequel il vit toute son initiation, le plonge dans une profonde douleur contre laquelle il lutte. L’expérience intérieure et spirituelle qui en ressort confirmera un changement total en lui.
Il refuse d’être le messie, il refuse d’être un gourou, et il dissout la société spirituelle qui s’est érigée autour de lui. Âgé de trente-quatre ans, il prend une trajectoire autre qu’il ressent profondément, et c’est peut-être en cela qu’il est précurseur du 3e millénaire.
Il n’y a rien là de tellement extraordinaire puisque je ne veux pas de disciples et je tiens à le dire. Dès le moment où l’on suit quelqu’un, on cesse de suivre la Vérité. Je ne me préoccupe pas de savoir si vous faites attention ou non à ce que je dis. Je veux faire une certaine chose dans le monde, et je la ferai avec une invariable concentration. Je ne me préoccupe que d’une seule chose essentielle : libérer l’homme. Je désire le libérer de toutes les cages, de toutes les peurs, et non pas fonder des religions, de nouvelles sectes, ni établir de nouvelles théories et de nouvelles philosophies.
Tout le reste de sa vie, Krishnamurti rejette obstinément le statut de gourou que certains veulent lui faire endosser. Il ne cesse d’attirer un large public dans le monde entier : en Europe, en Australie, en Inde, en Amérique du Sud, aux États- Unis, mais sans revendiquer la moindre autorité ni accepter aucun disciple ; il s’adresse à ses auditeurs de personne à personne. Il passe sa vie à transmettre de manière libre.
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Pour lire l’article en entier REFLETS n°36 pages 78 à 80