Frère Jean, moine orthodoxe, a d’abord été photographe de mode et grand reporter. Bouleversé par la vie des moines lors d’un reportage en Grèce, il choisit de consacrer sa vie au recueillement et à la prière. En 1996, il fonde, dans ses Cévennes natales, une communauté orthodoxe, le Skite Sainte Foy dans laquelle différentes personnalités du monde artistique se retrouvent pour échanger et se ressourcer dans le silence. En 2006, frère Jean est ordonné prêtre à Paris.
Frère Jean, qu’est-ce que la paix pour vous ?
C’est la paix intérieure ! Ce n’est surtout pas « fichez- moi la paix ! » ni « laissez-moi tranquille ! » La paix extérieure est éphémère, elle fuit, rompt la relation. L’homme ne se trouve jamais chez lui. L’homme de paix ne fuit pas les problèmes extérieurs, il les transfigure par la quiétude, la modération, le lâcher-prise. Il trouve une distance face à l’incident dans une dimension au-delà des passions. La paix ne signifie pas indifférence mais impassibilité.
La paix s’exprime en plénitude par un état qui est aussi un lieu, un roc. Quand la tempête gronde, si je suis sur un bateau, je suis épouvanté par les vagues, mais si je suis assis sur le roc, je suis émerveillé par la puissance des flots. Le Christ, qui est le roc, dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, non pas comme le monde la donne, je vous la donne, moi. » (Jn 14, 27-31). La paix devient un cœur à cœur. C’est le corps crucifié par l’amour, non pas comme un corps qui meurt mais comme une âme régénérée par la Grâce. L’homme qui ne se sait pas unique ne peut entreprendre le pèlerinage de la tête au cœur.
La paix bannit la peur.
L’ego l’empêche d’agir librement et le fait chuter. La paix bannit la peur. L’homme en paix escalade ses propres profondeurs ; il progresse avec confiance vers sa propre maturité. L’œuvre véritable se fonde sur sa propre substance. Lorsque l’homme ouvre son cœur au mystère, il crée un espace paisible où tout communie. Il engendre un réceptacle pur qui unit sans confusion les deux pôles d’une même réalité. Le vide est un arrêt dans l’espace qui nous révèle l’infini ; la paix est un arrêt dans le temps qui nous révèle l’éternité. La paix est le lieu pur où Dieu se révèle. L’être de paix devient « théophore » (porteur de Dieu). Il établit humblement le contact entre l’existentiel et l’essentiel. Il incarne l’esprit, il spiritualise la matière.
La paix s’ouvre à la transcendance ici et maintenant.
De cette sainte rencontre, jaillit la transcendance. La paix s’ouvre à la transcendance ici et maintenant. La couleur de la paix, c’est la transparence. Il est difficile d’accéder à la paix, car elle est l’unité dans la globalité, un abandon à la plénitude, rien ne peut l’acheter. Pour être dans la paix, il faut que cent éléments soient en harmonie les uns avec les autres. Il suffit qu’un seul de ces éléments se rebelle pour avoir la discorde. Dieu se révèle par ses énergies incréées : la paix, la joie, l’amour, la beauté… Il est plus facile d’exprimer la joie durant son existence que de témoigner de la paix. Quand la joie habite le temple de notre corps, elle se reflète dans chacun de nos actes : dans nos regards, dans nos gestes quotidiens, dans nos sourires. Cependant nous ne pouvons pas avoir la joie sans avoir l’amour, il ne peut y avoir l’amour sans la paix. Si nous vivons l’une des vertus, les autres nous sont données par surcroît. Si l’être s’exprime en toute liberté, avec justesse, alors la paix jaillit spontanément, comme une évidence. Les énergies incréées ont besoin d’une matrice pour être visibles, elles se multiplient par le don sans jamais s’épuiser, comme une bougie peut éclairer cent bougies sans épuiser sa flamme. Cette matrice, c’est le cœur de l’homme. La sagesse est infinie ; c’est l’homme qui la limite par sa raison. L’art est infini ; c’est l’artiste qui limite sa splendeur par sa tiédeur. Chacun doit purifier son cœur, son geste, pour devenir transparent à la Grâce.
JE SUIS RICHE,
NON PAS PAR CE QUE JE POSSÈDE,
JE SUIS RICHE PAR CE QUE JE DONNE
Vous dites qu’il n’y a pas de paix sans Dieu…
Le but de l’homme n’est pas l’humain ni le surhumain, le but de l’homme, c’est Dieu ! La liberté de l’homme, c’est Dieu, l’Immuable vivant. Au fond de l’être ne sont pas inscrites des lois, mais y repose la présence divine.
Dieu est au-delà de tous noms. Il est ineffable. S’il était le premier, il serait mère de 10 000 êtres. S’il était grain de blé, il serait mère de 10 000 grains de blé. Dieu est Rien et Tout. Ce qui ne veut pas dire rien du tout ! Il est le Créateur du ciel et de la terre, du monde visible et invisible (Credo). Le « Rien » est le principe de toutes choses, le premier est mère de 10 000 êtres.
Le luxe du moine, c’est sa pauvreté, c’est être à l’écoute de l’instant, émerveillé par la majesté du simple. Le moine n’a pas besoin de prouver quoi que ce soit, il chante sa vie. Avoir un lieu vierge en soi pour accueillir le repos divin. La paix n’est pas le néant, ni un vide sans fond, ni un silence sans écho. Elle est ce lieu au cœur de l’homme qui s’ouvre à l’éternité, à l’infini, qui irradie l’Esprit.
Pour lire l’article en entier, REFLETS n°34 pages 54 à 58