Au cœur de l’Occident mystique
Le mouvement des béguines, et de leurs homologues masculins les béguards, est apparu à Liège dans l’actuelle Belgique autour des années 1173. L’origine en est assez mystérieuse car cette communauté atypique est apparue de façon spontanée et imprévisible, hors de toutes incitations institutionnelles ou ecclésiales. À l’image de ce qui sera un peu plus tard les Amis de Dieu, déjà évoqués dans cette chronique, une vraie traînée de poudre lumineuse de béguinages fertilisa la vallée du Rhin sans que l’Église ait donné d’impulsion particulière.
Une large diffusion rhénane
Cette mouvance spirituelle s’est, en effet, très rapidement étendue à l’ensemble de la terre rhénane surtout dans son versant nord avec des extensions dans le nord-ouest de la France voire ponctuellement dans des zones plus éloignées. Le mot lui-même de béguine est l’objet de débats mais il vient sans doute de l’ancien néerlandais beginhof indiquant une relation avec un lieu communautaire. Il constitue en tout cas l’une des formes les plus originales de la spiritualité rhénane. L’extension a été massive même s’il est évidemment difficile de donner des chiffres très précis. Il semblerait que, dans toute l’aire du fleuve, il y aurait eu plus de 200.000 béguines et environ 80.000 bégards, ce qui est considérable. Ils ou elles se répartissaient en plusieurs centaines de béguinages, certains grands comme des mouchoirs de poche et d’autres immenses comme à Bruges en Belgique. Si la plupart ont à ce jour disparu, certains sont classés au Patrimoine de l’UNESCO comme images de la beauté d’une spiritualité partagée.
Qui étaient les béguines ?
Elles étaient, pour l’essentiel, issues de milieux simples voire défavorisés même si des dames de l’aristocratie y ont participé. Leur piété était connue et reconnue du moins par le peuple. Elles tenaient avant tout à rester libres de toute sujétion institutionnelle tout en développant une spiritualité à coloration mystique. Certaines d’entre elles avaient une culture biblique parfois très profonde. D’autres encore connaissaient le latin et le grec.
Une spiritualité laïque ?
Les béguines avaient l’extrême particularité d’être des laïques suivant volontairement une règle communautaire librement consentie et de forme très variable. Elles n’étaient pas moniales mais vivaient dans le sillage de la Parole du Christ et de celui des saints ou saintes, simplement et pauvrement en tant que « laïques » dans la cité. Quelques unes étaient même mariées. Cette pauvreté évangélique clairement revendiquée les rendaient très proches des fraternités franciscaines qui naissaient à peu près à la même époque. La plupart avaient un travail rémunéré, tisserandes, potières, blanchisseuses, infirmières. Elles ne dépendaient de personne et se choisissaient une « Grande Dame » ou « Grande Maîtresse » élue pour de courtes périodes renouvelables dont la mission était d’assurer un minimum de coordination au sein du béguinage. Elles sortaient travailler le jour et rentraient le soir rejoindre leurs maisonnettes. Le soir, la porte du béguinage se refermait. Elles vivaient alors des temps de prière communautaire ou d’oraison personnelle.
Les béguinages
Ce mode de vie très particulier les avaient amenées à inventer un habitat spécifique, le béguinage, c’est-à-dire un enclos de petits bâtiments ou maisonnées, entourant un jardin en forme de carré. Ce jardin clos était une référence explicite au texte du Cantique des Cantiques où le Bien-aimé rencontre sa Bien-aimée. Ces béguinages, souvent très beaux, ont été le signal temporel d’une aventure spirituelle singulière.
La spiritualité des Béguines
S’il est naturellement anachronique de parler de féminisme avant la lettre, il est certain que leur démarche relevait d’une grande liberté dans une société dominée par le pouvoir masculin aussi bien institutionnel que spirituel. Les béguines, qui pratiquaient les langues anciennes, eurent l’audace de traduire la Bible en langues vernaculaires, soit les dialectes alémaniques soit le roman. Parfois même, il leur arrivait de prêcher en public.
Ceci causa sans doute leur perte car l’hostilité du clergé se fit jour d’abord discrète puis frontale. On ne leur pardonnait pas de rentrer dans le territoire des clercs supposés être les seuls dépositaires du savoir. Après une période de tolérance d’environ un siècle, la papauté, après le concile de Vienne en 1312, leur interdit toute existence en les sommant de rentrer dans le rang. Le choix proposé était simple, soit de devenir une congrégation de moniales classiques soit l’excommunication voire pire. L’une des plus célèbres béguines de l’époque, Marguerite Porte (1250-1310) fut brûlée vive en 1310 à Paris. De nombreux béguards furent noyés dans le Rhin. Mais leur influence perdura et influença des personnalités comme Maître Eckhart.
La spiritualité des béguines avaient en effet une forte voire intense connotation mystique. Elles furent parmi les premières à méditer sur la profondeur de l’Amour divin et de son incarnation dans le monde. Le livre « Le miroir simple des âmes anéanties » de Marguerite Porète se diffusa sous le manteau dans toute l’Europe. Le langage de leurs écrits était souvent proche de celui des « Cours d’amour » et de celui des troubadours.
Leur destin ultérieur
Comme l’essentiel de la spiritualité rhénane, les béguines furent progressivement oubliées, sauf celles qui, contraintes de devenir religieuses en congrégations classiques, survécurent jusqu’à une date récente. La dernière « béguine », en fait une religieuse de congrégation monastique, disparut en 2013 en Belgique.
Malgré ce destin finalement tragique, leur témoignage a été redécouvert depuis une cinquantaine d’années. Les ouvrages majeurs écrits par elles sont réédités. Leurs contenus sont médités et reçus comme des sources d’inspiration contemporaine pour des chercheurs ou chercheuses de sens. Dans le cadre de cette chronique, une figure symbolique de cette mystique de l’Amour sera présentée dans l’article suivant. Puis, en troisième temps de cette chronique, un article sur les échos contemporains et la modernité de cette aventure sera proposé aux lecteurs.
http://www.laspiritualitedelabeaute.fr/
Gérard-Emmanuel Fomerand
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