Au cœur de l’Occident mystique
Si les textes des béguines qui ont survécu à la vigilance de l’Inquisition sont relativement nombreux, certains d’entre eux sont vraiment des sommets de la mystique de l’Occident. La figure déjà évoquée de Marguerite Porète ( 1250-1310) est célèbre, celle d’Hadewijch d’Anvers ( 1200-1260) l’est un peu moins. Elle est néanmoins très marquante pour nos contemporains à la recherche ou la redécouverte de la profondeur de l’amour quelle que soit ses formes. Hadewijch est l’une des premières, sinon la première en Occident, à avoir vécu puis enseigné une voie mystique de l’amour.
Un destin étonnant
Hadewijch est née vers 1200 dans l’actuelle Belgique. D’origine probablement aristocratique, elle bénéficia d’une éducation très complète lui donnant les clés d’un savoir qu’elle mit au service d’une belle écriture traduisant ses expériences spirituelles. Résolument laïque, et portée sur une spiritualité vivante dans le monde et hors du monde, elle s’orienta très jeune vers un béguinage. Elle en dirigea un comme « Grande Maîtresse » et fut même directrice de conscience. Ce dernier aspect la situait clairement sur le territoire des clercs ou des prêtres. La qualité étonnante et le niveau de ses écrits lui assura une tolérance de fait. Son œuvre écrite est considérable avec des lettres et des poèmes qui furent lus un peu partout en Europe. Elle influença des générations de pèlerins en route vers le Royaume évangélique évoqué de multiples façons dans les paraboles du Christ.
L’amour ou le chemin de la perte de soi
Pour Hadewijch, « Ce que l’amour a de plus doux est son abîme insondable. Sa forme la plus belle est de se perdre en lui pour atteindre son but ». Se perdre pour se trouver est une constante millénaire de l’héritage judéo-chrétien dont la source est la Bible et plus particulièrement le Cantique des Cantiques ou les Évangiles.
Ces textes ont imprégné la spiritualité des béguines et notamment celle d’ Hadewijch. Le terme d’abîme est aussi fréquemment utilisé dans les psaumes pour désigner ce « Dieu » inconnaisssable dont l’immensité n’a aucune limite. Le verset 8 du psaume 42 éclaire les mots utilisés par Hadewijch quand il parle d’un abîme appelant l’abîme. Les méditations d’Hadewijch l’ont naturellement amené au seuil de ce gouffre sans fond.
Le rappel de cette dimension ultime qui est la nôtre en tant qu’être humain est une des réponses actuelles à nos crises sociétales. Hadewijch renvoie cette expérience du vide absolu en soi en remettant les vanités du monde à leur juste place. En ce sens, son propos est intemporel. Si nous avons oublié qui nous sommes et l’abîme qui nous habite, comment vivre notre présent dans la paix et être, là où nous sommes, un souffle d’harmonie ?
La mystique de l’Amour
Avec Hadewijch, mais elle est loin d’être la seule même si elle est l’une des premières, commence un vaste mouvement qui va durer, a des degrés divers, jusqu’à maintenant. Il s’agit d’une mystique de l’Amour qui se décline en un éventail subtil ou divin et humain se mêlent. Le langage ou le contenu de l’amour humain sera utilisé par les spirituels chrétiens constamment pour évoquer la relation avec « Dieu ». Attente, rencontre, présence, absence, étreinte, départ, désert, jardin clos…tout le nuancier de l’amour se dessinera sur une palette sans fin.
Des cours d’amour du Moyen-âge aves ses Dames inaccessibles, figures de la Vierge Marie, aux fusions- effusions avec le Christ des mystiques de toutes les époques, nous voilà transportés dans un continent océanique.
Le dépassement de toute parole
La plupart des béguines l’ont dit voire proclamé. La raison raisonnante est une impasse. Les spéculations théologiques dont le Moyen-âge était friand ne mènent à rien car elles ne sont que pures hypothèses mentales. Marguerite Porète l’affirmera une cinquantaine d’années après. Cela la conduira au bûcher.
Hadewijch le dit, et le vit à l’identique, quand elle écrit que « De toute raison je suis dépouillée. Ceux qui n’ont jamais compris l’Ecriture ne sauraient en raisonnant expliquer ce que j’ai trouvé en moi-même, sans milieu et sans voile au dessus des paroles ». Quelle lucidité ! La connaissance a son utilité qui n’est que relative. Elle peut être un des premiers pas sur le chemin de l’intériorité, ou un simple éclairage documentaire mais rien d’autre. Ce dépouillement vécu par Hadewijch, dans notre société percluse de consommation et d’angoisses inconscientes, est une voie spirituelle proposée à chacun. Cela suggère un travail sur soi et sur son propre labyrinthe pour trouver la sortie de ses méandres.
Dépasser la parole formelle, les habillages incantatoires ou idéologiques, est un véritable enjeu et un défi de fond face aux crises du sens de nos sociétés occidentales. Hadewijch, et plus largement les béguines, nous mettent devant les vrais choix de vie qui imprègnent et parcourent les textes bibliques. Choisir entre la vie et la mort ou les deux voies, sont citées en effet à plusieurs reprises dans les versets de l’Ecriture. Hadewijch n’est en aucun cas un modèle. Elle s’en serait bien gardée ! Mais elle peut être l’une des innombrables références oubliées dans ce riche continent des spirituels de l’Occident mystique.
http://www.laspiritualitedelabeaute.fr/
Gérard-Emmanuel Fomerand
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Cette publication a un commentaire
Merci pour cet article qui m’apprend quelque chose de très important qui mérite d’être approfondi. Le lien avec nous et le monde contemporain est plus que pertinent!