Rencontre avec le père Michel-Marie Zanotti-Sorkine
Michel-Marie Zanotti-Sorkine est un prêtre catholique, prédicateur, écrivain et auteur-compositeur-interprète. Au moment d’entrer au séminaire à l’âge de 20 ans, il rompt avec le milieu ecclésial. Il rejoint Paris où pendant 8 ans il mène une carrière artistique de chanteur-compositeur-interprète, dans les pianos-bars et les cabarets de la capitale. À l’âge de 28 ans, il entre dans l’Ordre dominicain, étudie la philosophie et la théologie. Il est ordonné prêtre le 30 mai 1999 puis curé de l’église Saint-Vincent-de-Paul, dite église des Réformés en 2004.
Avez-vous eu, dans votre enfance, des signes prémonitoires de votre vocation ?
Mon père était catholique et ma mère était d’origine juive.
Mon grand-père est arrivé de sa lointaine Russie en 1912 et s’est installé à Paris. Il était totalement athée peut-être parce qu’il a vécu dans un contexte trop religieux… Trop conduit souvent à une saturation qui produit l’effet inverse, jamais nous ne devons l’oublier. Pour intégrer ses deux filles à la société française et entrer dans la meilleure école tenue par des religieuses, il permet qu’elles soient baptisées. Durant la guerre, ils se cacheront pendant trois ans dans un hameau perdu du Cantal et échapperont ainsi à la déportation.
J’ai grandi dans un milieu de grande qualité sur le plan humain,
sensible à l’art, mais étranger à l’univers surnaturel, bien qu’infiniment respectueux ; mais après tout, qu’est-ce qu’être croyant ? Qu’est-ce qu’être chrétien ? Quand on contemple la grande fresque du Jugement dernier offerte par Jésus dans l’Évangile selon saint Matthieu, il n’est même plus question de foi, de prière : l’entrée dans la vie éternelle est subordonnée à la bonté mise en œuvre. « As-tu donné ton manteau à celui qui grelottait ? As-tu procuré du pain à ceux qui en manquaient ? »
Le Christ regarde ici la foi quand elle s’empare du geste humain pour accomplir le bien. Dans mon enfance, la lumière divine se reconnaissait donc à la bonté qui circulait entre mes parents et mes grands-parents dont la droiture de vie m’a éclairé sur la vraie valeur des êtres, qu’ils soient croyants ou qu’ils ne le soient pas.
Si nous n’avons jamais prié en famille,
dès l’âge de 7 ans, mes parents ont tenu à ce que mon frère et moi allions à la messe et au patronage. Dans la paroisse, il y avait là un prêtre âgé qui m’a tout de suite illuminé par son dévouement et par sa piété. En le voyant prier, j’entrais dans une dimension nouvelle qui dépassait la terre… Ce prêtre m’a profondément marqué et je lui dois ma vocation. Aujourd’hui, on craint les influences, on agite la peur des emprises, mais je puis assurer qu’il en est de nécessaires ! Il faut des maîtres et des témoins. Autour de mes 8 ans, j’eus la certitude intérieure que le Ciel m’appelait à être prêtre et j’ai grandi dans ce désir sans en parler ouvertement.
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Hélas,
alors que je n’ai que 13 ans, je perds ma mère et toute ma vie en est évidemment bouleversée. La douleur et la tristesse dominaient mes jours, mais je gagnais en force intérieure, en courage, d’autant plus que j’étais convaincu que ma mère était vivante… Mon père si merveilleux ainsi que la présence de ma tante Irma, revenue du camp de Ravensbrück, m’ont permis de tenir debout malgré le drame. Marcher, toujours marcher… et ne pas s’écouter.
Votre prêtrise actuelle ?
Elle repose sur une constatation
qui peut sembler affligeante mais qui vient en ricochet réveiller mon élan. La pratique religieuse ne dépasse pas les 4 % de la population française ; il n’y a aujourd’hui en France qu’1 % d’enfants catéchisés, et la France semble se développer sans recourir à la foi, en se matérialisant de plus en plus, les yeux sur le guidon de l’économie. Certes, pour reprendre une expression du Christ « le sel de la terre » ne manque pas, et ici ou là, des chrétiens font vivre l’Évangile, et de grands jeunes, assoiffés de vie spirituelle, passionnés par l’avenir de la planète, désireux d’aider les plus démunis, se lèvent. Le cœur humain ne manque jamais de ressources.
Cependant, l’annonce du Christ-Amour et de la vie éternelle
nécessite, j’en suis convaincu, de la part des hommes et des femmes voués à Dieu une pénétration très intense du tissu social. Si bien que j’ai désiré mener la vie de tous, vivre au coude-à-coude avec l’humain. Mon ministère de prêtre est avant tout un ministère de rencontres.
Je passe chaque matin au moins deux heures dans un café
où je travaille à mes livres, à mes prédications, en me laissant interrompre par les uns et les autres ; et l’amitié se noue, les liens s’intensifient, le prêtre est au milieu de la vie, il est reçu et même… écouté par des êtres qui n’ont jamais côtoyé un ami du Christ. Si le prêtre ne partage pas la même vie que ceux auxquels il est envoyé, s’il n’est pas confronté aux mêmes difficultés, s’il vit enfermé dans son milieu ecclésial, il lui est impossible de comprendre le combat des hommes.
Il aura aussi tendance à vouloir faire entrer dans ses certitudes ceux qui vivent autrement, au risque de précipiter ou d’abîmer l’œuvre patiente de Dieu dans les cœurs, et il y a donc danger, un danger que le Christ n’a jamais connu, lui qui était sur les routes. I have a dream ! Imaginons que tous les évêques, tous les prêtres, toutes les religieuses fassent leurs courses dans leur supermarché du coin, s’arrêtent pour boire un café dans le bistrot de leur quartier, sourient aux uns et aux autres, en cinq ans, j’en suis sûr, l’Église serait aimée… Nous avons perdu la rue, il faut la retrouver.
Je m’occupe également d‘une communauté née au début du XXe siècle,
les auxiliaires du Cœur de Jésus qui désirent vivre et faire connaître le cœur du Christ, amoureux de l’humanité. À cela, j’ajoute mon travail créatif : mes livres, mes chansons, les récitals et ma participation régulière à une émission de la télévision québécoise. Ces activités sont pour
moi l’occasion d’être en contact avec des univers apparemment étrangers à la foi ; je dis apparemment, car les artistes sont confrontés au mystère de l’inspiration qui ne peut qu’ouvrir une fenêtre sur l’incernable…
Ce sont les actes qui sont importants. Les actes sont le contenu et non l’emballage, n’est-ce pas ?
Oui, les actes de bienveillance doivent être notre pain quotidien.
Le goût de l’Église pour l’humilité et la discrétion font que ses œuvres ne sont pas assez connues. Il paraît que si l’Église disparaissait, on affamerait un tiers de l’humanité. En ce qui me concerne, les pauvres qui jonchent nos rues, j’essaie par mon regard, mon sourire, de leur témoigner la considération dont ils manquent plus que de monnaie. Mais au-delà de cette forme de pauvreté sociale, il me semble que je suis appelé à me consacrer à d’autres formes de misère : le rejet de la différence, plus ou moins exprimé, mais toujours pensé, fruit de nos principes. L’exclusion ainsi que la création de ghettos commencent ici.
Ce type d’approche est extrêmement périlleux,
et s’il est mis en place par des chrétiens, Dieu en paie les pots cassés.
Pour lire l’article en entier, Reflets n°50 pages 57 à 61