En septembre 2020, Bernard Montaud publie aux éditions Dervy D’où je viens ? Où j’en suis ? Où vais-je ? 3 psychanalyses corporelles pour y répondre. Une lecture de quarante années d’investigation du fonctionnement humain commencée avec Gitta Mallasz, poursuivie avec l’association Artas. Aujourd’hui il se consacre à défendre la vie spirituelle et la foi sous toutes ses formes.
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Qu’est-ce que la foi pour vous ?
La foi, c’est la façon dont l’homme est en harmonie avec l’invisible. Je crois qu’il y a autant de réalités invisibles qu’il y a de réalités visibles. Et si la science s’occupe des réalités visibles, la foi, elle, est concernée par les réalités invisibles. Il faut que l’homme soit en harmonie avec ces deux réalités.
Est-ce que toutes les formes de foi sont égales ?
Les formes de foi sont toutes en référence à une maturité de l’espèce humaine, et il y en a pour chaque âge de l’humanité. Tous les âges et toutes les maturités réunissent toutes les formes de foi possibles. Sur terre il existe des peuples avec différents niveaux de maturité, et tous les âges y sont représentés : il y a en quelque sorte des enfants de deux ans, des enfants de huit ans, des adolescents et des adultes. Et il est important de comprendre que tous les peuples ressentent d’une manière macrocosmique toutes les différentes formes de foi, c’est-à-dire que si la foi infantile de l’Afrique – si ce qu’on appelle les « petites fois » – devait disparaître, la fraîcheur de ce type de foi n’existerait plus. Le petit enfant qui a foi en son doudou, c’est déjà un début de foi. C’est une toute petite foi, sauf que si cette foi disparaissait sur terre, la foi envers le Père Noël disparaîtrait aussi, la foi de l’enfance disparaîtrait et toute l’espèce humaine serait infirme. Il y a ainsi des formes de foi plus ou moins mûres pour des âges différents de l’espèce humaine, pour des peuples qui ont des maturités différentes. Mais les plus mûres ne sont pas les meilleures, elles sont simplement plus évoluées face à des moins évoluées qui sont nécessaires pour que les plus évoluées existent. Et chaque peuple est gardien d’une partie de la foi. Ne nous moquons jamais d’aucune forme de foi, même des plus infantiles. Apprenons à respecter toutes les formes de foi, pour que notre maturité dans la foi soit sereine.
Qu’est-ce qui représente aujourd’hui les fois les plus âgées ?
Les fois les plus âgées – ou les plus matures – sont toujours liées aux peuples les plus évolués politiquement et socialement, et elles sont aujourd’hui mises en jeu du fait d’un ego devenu pathologique, d’un trop d’ego. Les vieilles fois, comme celles de l’Orient, sont d’une très grande maturité. Mais aujourd’hui, face à elles, il s’agit pour la foi de contrebalancer la surconsommation de l’ego, la folie de l’ego, de la modernité qui part à contre-courant de la vie et qui est en train de détruire la vie sur terre. Il va donc bien falloir que l’homme occidental, avec son ego devenu pathologique depuis qu’il consomme à tout va l’inutile, retrouve la foi, une nouvelle foi. La foi religieuse d’hier ne le sauvera pas, parce qu’elle s’adressait à nos parents qui cherchaient à réussir dans une société où la consommation n’était pas encore de la surconsommation, où la pollution n’existait pas, où les grandes misères des SDF, des migrants et bientôt des déplacés climatiques n’existaient pas encore. Elle correspondait à un état de l’ego qui, au sortir du Moyen-Age, était devant l’émergence de la capacité à réussir familialement, socialement, professionnellement et financièrement. Aujourd’hui, l’Occident produit un argent qui n’a plus de valeur et une économie qui entre dans la folie, car il est endetté jusqu’au cou. Notre consommation est devenue une surconsommation de l’inutile. Nous polluons l’eau, la terre et le ciel, et nous détruisons le monde végétal et animal. En ce sens, l’Occident est devenu fou. Il va falloir inventer une foi qui règle la crise qui s’annonce, la crise de la vie humaine devenue dangereuse pour la vie sur terre. Il va falloir retrouver des valeurs de foi qui vont sauver cette situation parce qu’extérieurement nous n’avons pas de solution.
Peut-on augmenter la foi, sa foi ?
Je ne crois pas qu’on peut augmenter sa foi. Je crois que l’on a besoin d’une foi plus intense face à des conditions historiques qui ont changé.
Est-ce que la foi sur terre diminue ?
Je pense que la foi en Occident diminue, mais elle est encore extrêmement intense dans tous les peuples qui sont des pays émergents, des pays qui conquièrent l’ego, qui cherchent à manger à leur faim (comme en Amérique Latine, au Maghreb). Je crois qu’une partie du monde est en train de perdre la foi parce qu’elle est hypnotisée par la conquête et l’intensité extérieures (voyager, manger, se distraire, les spectacles, la télévision, etc.). Plus il y a d’intensité dans la vie extérieure, moins il y a besoin d’intensité dans la vie intérieure. Mais plus la vie extérieure est dure, plus la vie intérieure peut être profonde. Or on voit bien que l’intensité dans la vie extérieure est en train de réduire la foi dans tout le monde occidental. Dans les pays où manger à sa faim, dormir au chaud, être protégé des maladies, ou qui ne connaissent pas encore la grande opulence (l’Amérique latine, l’Asie, l’Afrique), les différents niveaux de foi continuent à se développer. Il n’y a qu’en Occident que la foi disparaît.
Est-ce que nous, les Occidentaux plus évolués, nous pouvons faire quelque chose face à ce problème de la foi ?
Il faut comprendre que l’Histoire va beaucoup contribuer au réveil d’une certaine foi nouvelle parce que nous allons nous retrouver devant des grands enjeux qu’elle commence d’ailleurs à proposer à l’Occident. Je pense en particulier à l’épisode actuel de la pandémie qui produit une réduction immédiate, profonde, de tout un tas d’activités extérieures. Tout ce qui était intensité de la vie, les matchs de rugby, le théâtre, la musique, les sorties, les voyages, les restaurants, soudain deviennent tous dangereux. Ce qui est en train de nous être enlevé, ce n’est ni la lecture, ni la contemplation, ni la prière, mais l’effervescence des activités extérieures.
Nous sommes alors aujourd’hui devant un premier rendez-vous : est-ce que l’homme est capable de vivre avec une vie extérieure qui se réduit ? Non, parce qu’il n’a pas de vie intérieure. Il va donc falloir que des écoles, des êtres, des enseignements prennent une place dans l’espace social pour dire à ces hommes qui perdent leur vie extérieure que ce n’est pas grave, car ils peuvent y gagner une vie intérieure tellement plus nourrissante. Une vie intérieure qui peut être aussi intense que la frénésie d’activités extérieures qu’ils avaient pour remplir leur vie. Et c’est la foi qui produit cette intensité de vivre aussi grande que l’intensité de vivre de la surconsommation de l’ego.
Puis il y aura un second grand rendez-vous, dû au fait que l’informatique va se développer à la vitesse grand V. Que sera l’informatique en 2100 ? Elle sera à l’image de ce qu’est la voiture d’aujourd’hui par rapport à la voiture de 1920. Et parce que l’ordinateur mémorisera mieux que nous et sera beaucoup plus intelligent que nous, notre activité cérébrale va régresser, et nous allons perdre la mémoire et l’intelligence. Si on n’est pas devant la nécessaire évolution d’une foi qui nous remplit d’intensité intérieure, nous serons soudain des hommes qui n’auront plus de vie extérieure, plus de vie psychique majeure, et sans mémoire ni intelligence. Nous serons des coquilles vides, pris en otages devant nos écrans et manipulés jusqu’à la fin de nos existences. Est-ce que l’espèce humaine veut terminer hébétée ou… habitée, habitée intérieurement ? C’est le grand défi de l’espèce humaine. Il va donc falloir une foi nouvelle pour reconvier l’homme à être habité.
Quel est l’avenir de la foi ?
Son avenir, c’est de devenir une foi qui ne sera plus une foi mécanique, théologique, de pratique régulière. Une foi qui devra être inspirée, produire des expériences mystiques, de l’intensité intérieure, de l’intimité avec les Saints, avec la Vierge, avec le Christ, produire une expérience de la prière qui soit une vibration, une recherche d’intimité. Il nous faut inventer une foi tolérante qui ne soit plus cette ancienne foi qui veut à tout prix évangéliser, une foi qui respecte toutes les formes de foi, y compris les plus infantiles, les plus gentilles, les plus ésotériques, les plus new âge. Car une foi qui ne respecte pas les autres formes de foi est une foi mauvaise. Oui, il va falloir inventer une foi inspirée, c’est-à-dire qui ne soit pas un rabâchage de récitations stériles mais qui produise dans la vie intérieure une intensité de rechange, une intensité d’amour, d’étreinte, de communion.
Pour y parvenir, faut-il passer par une union de toutes les formes de foi ?
Non, je ne pense pas. Car chaque foi, selon chaque prophète, devra développer sa propre forme inspirée, sa propre façon de croire tolérante. De la même manière que le monde pour l’instant est devenu fou, nous assistons à un islam devenu fou. Une foi qui donne la mort est une foi qui n’a rien compris à Dieu. Dieu donne la vie. Tuer au nom de Dieu est un cancer de la pensée. Tout va devoir basculer, et il va devoir apparaître des petits îlots dans le christianisme, dans le protestantisme, chez les orthodoxes, chez les musulmans, chez les soufis, les taoïstes, les bouddhistes zen, les bouddhistes tibétains. Des îlots qui manifesteront qu’il faut passer à une foi qui nous donne la même intensité que celle que nous procuraient les voyages au-dehors. Il faut que désormais les voyages se fassent au-dedans, ce qui donne un sens à la crise que traversent les compagnies d’aviation. Le voyage au-dehors va être de plus en plus compliqué mais voyager au-dedans n’est pas interdit, comme par exemple s’envoler vers un grand saint que l’on veut rencontrer intérieurement. Et donc cette nouvelle foi va produire un homme habité, parce que si l’homme n’est pas habité il terminera hébété devant tous ses écrans qui le séquestreront et le priveront de sa vie.
Cette nouvelle foi peut surgir de partout ?
Oui. Les prophètes ont semé suffisamment pour que cette foi émerge de tous les endroits de la terre. Elle émergera des pays qui ont besoin de trouver des nouvelles solutions. Elle n’émergera pas de l’Inde, ni de la Chine, mais plutôt sans doute des pays de l’Est parce qu’ils n’ont pas pu vivre la surconsommation et qu’ils ne sont pas en mesure d’être dans la consommation. Ils ont traversé 70 ans d’un communisme qui les a privés de la surconsommation de l’Occident. Mais loin d’être des perdants de l’Histoire, sans doute ces pays de l’Est vont être la source de grands saints, de grands êtres qui vont réveiller la foi du côté de l’expérience mystique, de l’intimité avec la prière, de la communion profonde, dans une intensité intérieure qui remplacera l’intensité extérieure.
Peut-on lire l’avenir de la foi à la lumière de l’évolution d’une vie humaine ?
Bien sûr. Déjà, on sent bien que l’informatique et le monde virtuel vont exploser et prendre bientôt toute la place. Nous allons nous retrouver sans vie extérieure, et donc dans les mêmes conditions que la vieillesse aujourd’hui. Aujourd’hui, plus nous vieillissons et moins nous avons d’activités extérieures, et plus nous sommes obligés de nous tourner vers une vie intérieure pour compenser la disparition de ces activités extérieures. L’espèce humaine est à cet endroit de son histoire : elle vieillit. Elle va se retrouver avec l’obligation d’avoir une vie intérieure parce qu’elle aura de moins en moins de vie extérieure, comme le vieillard derrière sa fenêtre.
Et si on comprend que se réfugier dans la foi est la seule parade à la vieillesse aujourd’hui, on comprend aisément que la foi est aussi la seule parade au vieillissement de l’espèce humaine tout entière. Mais une foi autre qu’une foi bigote, mécanique, ne faisant que remplir un emploi du temps. Nous, nous avons goûté l’intensité extérieure, alors que les vieux d’aujourd’hui qui terminent leur vie dans les églises n’ont pas goûté des existences très intenses. Alors l’intensité mécanique d’aller tous les jours à la messe leur suffit pour être une intensité. Mais nous qui avons été des nantis de l’après-guerre, nous qui avons connu toutes les richesses, toutes les exagérations, toutes les surconsommations, il va falloir qu’on nous propose autre chose dans les églises, une autre intensité, pour que ça vaille le coup face à des intensités extérieures que l’on a perdues. Il nous faut des rencontres mystiques, et donc une foi inspirée qui nous aide à rencontrer la Vierge, à rencontrer le Christ. Il nous faut de l’étreinte. Il nous faut des grands paysages intérieurs sacrés en face des grands paysages que nous avons perdus dans le monde au bout de nos voyages en avion. Et je crois que les pays de l’Est sont propices à cela, parce qu’ils ont la même maturité que nous mais sans l’encombrement de la surconsommation. Ils vont avoir besoin d’une foi nouvelle pour comprendre qu’eux devront d’emblée consommer juste parce qu’ils ne pourront pas passer par l’étape de notre folie. Mais dans tous les pays qui se sont beaucoup trompés, il y a des chances d’entendre la solution. On voit bien alors que nous, en Europe, nous allons aussi devoir trouver une vie intérieure intense, parce que nous avons perdu une vie extérieure intense