Daniel Duigou, journaliste de télévision, a été ordonné prêtre à 51 ans. Il exerçait en parallèle une activité de psychologue clinicien-psychanalyste dans les services d’infectiologie et de soins palliatifs de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif. Depuis 2008, il a mis fin à toutes ses activités pour vivre une expérience d’ermite dans le Grand sud marocain, à la porte du désert. Pendant trois ans, il a accepté d’être le curé de la paroisse expérimentale Saint Merry à Paris. Son dernier livre, Jésus, un homme libre, aux Presses de la Renaissance.
Qu’est-ce la foi ?
Parmi les religions, face au défi du monde moderne, et pour certains, déjà, face à la postmodernité, le christianisme fait rupture avec le sentiment religieux et ouvre un nouveau champ à l’homme dans une nouvelle problématique de la foi.
Commençons par la conclusion. La pensée de Jésus fait rupture avec une pratique de sa religion et, par là même, avec une pratique des religions – ce qui l’a conduit jusqu’à la mort en croix. Pour ce juif nourri par la pensée hébraïque, la foi en Dieu passe par la foi en l’homme et, de même, la foi en l’homme passe par la foi en Dieu. La conséquence est fondamentale : la priorité, avant l’obligation du culte, c’est l’avenir de l’homme, de tous les hommes au-delà des différentes frontières pouvant opposer les individus. Autrement dit, pour le dire avec nos mots d’aujourd’hui, pour Jésus, l’ADN de l’homme, c’est la fraternité. Il n’oppose pas une religion à une autre religion, une foi en un Dieu à une foi en un autre Dieu. Il vise l’universalisme de l’homme. L’actualité de la covid-19 illustre parfaitement cette option : c’est la responsabilité et la solidarité entre les hommes et entre les pays au niveau mondial qui assureront la victoire sur la pandémie.
La religion chrétienne n’est pas, contrairement à ce que l’on entend souvent, une religion du Livre, mais celle de l’interprétation
Mais cette nouvelle perspective de la religion, de l’homme et de Dieu, et donc cette nouvelle expression de la foi implique d’aller jusqu’au bout d’une lecture, et donc d’une compréhension ou d’une interprétationde la Bible – étant entendu que la religion chrétienne n’est pas, contrairement à ce que l’on entend souvent, une religion du Livre, mais celle de l’interprétation.
Premièrement, c’est la parole qui crée. À partir du Livre de la Genèse (le Commencement), le mouvement fondamental de la Bible est la naissance de l’individu, le naître-à-soi-même, lorsque l’individu accède à sa propre parole. En disant « je », l’être « accouche » de lui-même en tant qu’être différent des autres dans sa singularité.
Deuxièmement. Cette parole suppose l’accès à la liberté qui passe par l’écoute inconditionnelle, sans jugement. L’écoute offre à l’individu l’espace où dire « je » en dehors de toute emprise de l’autre. Le maître-mot de la Bible est l’écoute.
Les récits de la vie de Jésus dans les quatre Évangiles
Les récits de la vie de Jésus dans les quatre Évangiles mettent en scène un homme qui, en permanence, au cœur des rencontres avec ses contemporains, écoute et libère la parole.Les exemples les plus frappants sont les récits des « miracles ». Dans son approche, pas de magie : Jésus ne fait que réveiller l’humain en l’homme ; il n’y a de miracle que celui de l’amour de l’autre en tant qu’autre, dans l’altérité. Dans le récit de la guérison du paralytique (Matthieu 2, 1 à 12), après la guérison, Jésus ne « l’enrôle » pas pour en faire un nouveau disciple, au contraire, il lui dit de partir, c’est-à-dire de chercher son propre chemin… D’une certaine façon, les paroles de Jésus reproduites dans les quatre Évangiles sont un midrash de l’Ancien Testament, c’est-à-dire, selon la tradition rabbinique, une exégèse par Jésus des Textes sacrés visant leur signification profonde.
Le Dieu de la Bible est celui qui désire que l’homme accède à sa liberté
De cette lecture de la Bible, une nouvelle compréhension de Dieu et de la foi s’exprime. Comme l’a développé dans ses écrits un grand mystique, saint Jean de la Croix, le Dieu de la Bible est celui qui désire que l’homme accède à sa liberté pour naître à lui-même et prenne son destin en main. Dans un renversement de l’esprit religieux, la foi n’est plus celle de l’homme en Dieu, mais de Dieu en l’homme. Une révolution dans la pensée religieuse qui dépasse les frontières des religions traditionnelles pour atteindre l’humain de l’homme dans sa compréhension universelle ! Pas de maître à penser ou de textes disant ce qu’il faut faire ou ne pas faire. A chacun de « penser » son propre avenir. Le christianisme est porteur d’une parole qui permet à l’homme de sortir du religieux qui l’aliène pour une foi le rendant libre d’advenir à lui-même et de choisir son avenir.
Dans un monde en plein bouleversement, l’homme prend peur
Dans un monde en plein bouleversement, l’homme prend peur. Les repères d’hier ne sont plus opérationnels ; ceux de demain sont à inventer. Les différentes formes de violences qui se multiplient à travers le monde et s’attaquent à l’autorité et même aux représentations symboliques en sont la manifestation visible. Plus que jamais, l’homme est confronté à l’inconnu de son avenir : les événements l’obligeraient à « penser ». Que les individus soient croyants ou incroyants, ce sont des êtres qui ne peuvent vivre sans spiritualité, qui ne peuvent pas ne pas s’interroger sur le sens de l’homme et l’existence de Dieu, et désirer vivre l’avenir. Mais face aux gigantesques défis de demain, deux réactions sont possibles. Soit l’individu refuse le questionnement et préfère vivre dans le déni de la réalité, soit il accepte la confrontation au réel et ose penser la nouveauté au risque de se tromper. Dans les deux cas, l’homme a affaire à deux types de « religions » ou de « croyances » : les unes peuvent enfermer l’individu dans le refus de la réalité, les autres, au contraire, l’aider à se libérer du passé pour inventer le futur. L’homme est à un carrefour de la foi qui le confronte à lui-même et à son devenir. Le christianisme est plus que jamais d’actualité.