Fabrice Jordan nous partage avec une grande transparence sa vision de la spiritualité, l’importance de l’engagement dans la voie et son rapport maître-élève. Un entretien passionnant avec un homme chaleureux et entier qui, dès le plus jeune âge, s’est senti en contact avec l’invisible.
Quel a été votre parcours spirituel jusqu’à ce « coup de foudre » avec votre maître spirituel ?
Dès le plus jeune âge,
en jouant dans ma chambre tout seul le matin, je me sentais en lien avec « autre chose » que ce que je touchais ou je voyais, une nostalgie comme un fil rouge intérieur. Suisse, venant d’un milieu familial assez simple, d’un endroit où tous
étaient baptisés, j’ai été marqué par ma confirmation à l’âge de 12 ans, vécue comme une exaltation.
Puis j’ai commencé à lire les sages orientaux du zen à 15 ans
tout en étant un adolescent normal passionné de karaté, rêvant de Bruce Lee, de qi et de force vitale. Le prof de karaté a accepté de m’enseigner un certain temps les subtilités du qi. À 19 ans, j’ai quitté cette approche tout en me questionnant fortement sur la suite.
À 20 ans, la vie m’a mis entre les mains
un livre L’Art du chi de Vlady Stévanovitch dans une librairie à Lausanne. J’ai écrit à l’auteur qui m’a proposé un stage au Québec. Et je me
suis engagé sur 14 mois à pratiquer, 6 heures par jour 6 jours par semaine, le taï-chi et la méditation, repoussant d’un an mes études de médecine. À 22 ans, j’ai repris la médecine couplée à un double engagement : enseigner le qi gong et le taï-chi-chuan pendant 15 ans, représentant suisse de l’enseignement reçu. Mon côté « journalistique » et mon processus de recherche m’ont emmené à la source, le taoïsme. Il était alors clair pour moi d’aller à la rencontre des maîtres de la tradition.
En 2007, j’ai rencontré mon maître à 36 ans dans une montagne en Chine.
Un fulgurant coup de foudre ! Je suis casanier, pas très amateur de voyage et pourtant ce lieu en Chine m’était familier, comme connu. C’est dans ce contexte que, l’écoutant au milieu d’un groupe de 30 personnes, j’ai dû poser mes notes tellement ça résonnait fort dans mon cœur. Je ne pensais plus le revoir, mais il a demandé à la traductrice à me parler pour me dire que nous avions un destin commun, qu’on allait se revoir, comme ça, sans précaution oratoire, sans un « bonjour » ou un « d’où venez-vous ? ».Dans le car pour repartir, je ne savais pas ce qui s’était passé.
En Chine, on parle de Yuan Fen, de rencontre prédestinée,
un peu comme tomber amoureux, mais sur un plan plus vaste que d’habitude, difficile à vivre pour l’entourage malgré les précautions et l’attention prise. J’ai demandé à devenir disciple de manière officielle, et le maître nous donne « la coiffe et l’habit » dans une cérémonie, puis un nouveau nom taoïste significatif de ce qu’il sent de la personne.
C’est avec ce nom que je m’adresse aux divinités dans le travail spirituel yang taoïste.
Je suis rentré en intimité avec le maître par des rencontres régulières en Suisse et en Chine pendant plus de 10 ans.
Quels sont les outils de votre pratique spirituelle ?
Il existe une classification particulière des nombreux outils de pratique taoïste.
Les arts des Montagnes liés à la corporalité, à la méditation taoïste, d’essence tantrique, au taï-chi et qi gong. Les arts métaphysiques qui servent à sonder l’invisible, les dimensions intermédiaires entre nos plans de réalité et le plan ultime qui est le tao. Le Yi Jing, par exemple, est un art d’aide à la décision qui consulte ces fameuses dimensions intermédiaires. D’autres arts sondent l’invisible de la terre ou du ciel.
Les enseignements se sont beaucoup formalisés autour de l’étude de l’invisible,
la pensée chinoise circulaire sait que tout ce qui n’est plus touchable ou tangible existe encore pour re-émerger au printemps. Comme une pensée paysanne où les choses qui disparaissent se régénèrent pour ressortir plus tard. Cela donne un côté rationnel. L’aspect yang du taoïsme, plus chamanique, est fait de talismans, mudras, mantras, marches célestes qui visent à infléchir la réalité. L’image qu’a l’Occident
du taoïsme est assez édulcorée avec une acceptation de l’aspect méditatif, cette notion de flux, ce « oui » sacré en oubliant les rituels. Cette incompréhension donne à la spiritualité un côté « romantique » qui oublie les plans plus subtils nécessaires à la compréhension de tout ce qui se répète sans cesse dans nos vies, et qu’il est nécessaire de nettoyer. Comme dire « non » à cette répétition pour reconfigurer le karma de manière active plutôt que d’attendre que ça se fasse tout seul. On ne va pas se taper 28 cycles de réincarnation avant de régler
un problème !
Toutes les voies spirituelles authentiques
proposent des outils yang, mais l’Occident les a souvent délaissés pour des raisons de rationalité, les taxant souvent de « superstitieux ». Mal lui en a pris, il a jeté le bébé avec l’eau du bain, et perdu de ce fait 50 % de l’efficacité des méthodes.
Quelle est votre vision de l’engagement dans la voie spirituelle ?
J’ai toujours suivi le fil rouge de la vie
qui m’a amené à ma place actuelle de disciple.
Mon engagement dans ma voie est total,
mais ouvert sur d’autres traditions, avec un regard sur les voies occidentales comme celle de Jacques Casterman, Arnaud Desjardins. Le livre César l’éclaireur de Bernard Montaud avait été un premier choc spirituel. J’aime la co-création sur une thématique vue avec un regard double où je me mets au service d’un maître à accueillir dans notre lieu pour partager dans l’expérience avec d’autres traditions.
Cela crée une richesse qui évite les endormissements spirituels.