Frédérique Lemarchand est née à Limoges en 1977. À partir de 1997, elle étudie les arts du feu, la restauration de tableaux anciens, le vide et le plein dans la peinture orientale. En 2012, elle subit une transplantation cœur-poumons d’où s’ensuivent une E.M.I. et un coma. En 2015, elle rencontre Annick de Souzenelle qui lui prodigue des enseignements d’anthropologie biblique sous l’angle ontologique. En 2016, elle publie le livre autobiographique poétique Cantique du Cœur. À suivre ses expositions de toiles, séminaires, conférences, peinture en direct.
Je suis chemin d’inspiration
Me voici appelée dans un silence qui absorbe le monde. Je suis chemin d’inspiration, sous un ciel vertical qui tire à lui les senteurs des abîmes jusqu’en terre de peinture. Fini le règne des câbles serpentant le mental qui contrôle tout. Je quitte ce monde opaque et rencontre le sensible, l’inattendu, le pressenti, la perception où tout se reflète. J’épouse la pluie limpide d’un ciel serein sur l’atelier, la visite impromptue bleue irisée du martin-pêcheur, gardien de la rivière qui roule en contrebas. Tous m’électrisent d’une densité tellurique.
J’ai le souffle coupé de ressentir tout ce que je ressens. Et, pour n’être plus exilée face à l’inouï, il en va de l’entrée en moi-même comme de l’approche d’une terre blanche. Je hisse sur mon chevalet une toile immaculée de silence.
Créer, c’est facile, il suffit de sauter à pieds joints dans le vide
Créer, c’est facile, il suffit de sauter à pieds joints dans le vide, c’est à dire dans mon cœur. Traversée par la sève créatrice, je suis habitée par le Souffle qui se dilate en moi, plus profond que moi-même.
Ma silhouette se détache alors indigo dans l’athanor de ma toile. La riche toison du lion balance sa flamme dans mes pigments. S’allume en moi un feu que ma poitrine ne peut contenir. Je brûle d’une peinture capable d’ouvrir un nouvel horizon aux lèvres « collabées » de la nuit. Dans un tremblement du toucher de l’être, l’aurore infinie décolle du fini. C’est un don de vie à la vie, don insaisissable. L’invisible fuse dans le visible en d’innombrables mutations qui s’évanouissent. La création ne vient plus de moi.
Une chrysalide d’empreintes parcheminée de larmes
Entre le monde et moi, la toile d’une métamorphose. Une chrysalide d’empreintes parcheminée de larmes. Un palimpseste de sueur et de poussière. La poussière du monde entier, collée à la peau du présent, au rideau de tous les temps de la vie.
Je déchire, je malaxe, je « manduque » mon cœur avec le cosmos afin qu’ils deviennent chair de peinture.
Les conditions sont réunies pour une nouvelle naissance. Morte enceinte du germe, je célèbre la vie meurtrière en moi. Le couteau de la vie avec le pinceau tranchent dans le vif. Le sang est peinture, elle, à moitié vivante et moi, à moitié morte. L’esprit et l’âme sont les deux yeux par lesquels je vis. J’incise la fente d’une bouche dans la pourpre de Ton visage. Visage de tous les visages, comme le mien foudroyé, inaliénable, essaimé, émietté. Substance de ma substance, poussière de la lumière, lumière de la matière s’étreignent férocement. Mon cœur absorbe la peinture et la manifestation absorbe mon coeur à l’image du célébrant qui donne et qui reprend !
Je ne peux pas capturer l’éternel
Peindre, c’est recevoir ce qui me déborde au creux de ma solitude. Tout se passe comme si la manifestation posait la question de l’équilibre de quelque chose de mouvant, muet, hurlant, invincible, provisoire, volatile et d’une extrême fragilité.
La fertilité de cet état d’attention flottante germe et croît sous la cicatrice de mon corps qui n’est pas son tombeau. Je ne peux pas capturer l’éternel. Ce qui m’est révélé se retire et l’horizon s’éloigne. Le vivant ne se laisse pas emprisonner.
Je ne peux que rendre témoignage à la Lumière.
Par la fenêtre de l’atelier passe un rayon de lumière libre et nu qui s’amuse sur la toile. La respiration, le souffle, le flux. La cendre et la poussière dans le faisceau lumineux sont comme rendues à leur virginité première. Trace insaisissable du sans-trace.
Il ne reste que ma peinture assoiffée pour me faire éprouver inlassablement l’étrange sensation intime que je vis toujours en une consubstantielle compagnie. Je vis la sublimation de deux états dont le mélange crée un troisième. Triade où douleur et joie sont une même chose dans l’amour fort qui abolit toute séparation.
Dialoguer avec le silence, cela reste une expérience secrète et mystérieuse indéfiniment enfouie, tel le levain dans la pâte humaine.
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 32 pages 47 à 48