Ancien promoteur immobilier lyonnais, il devient prêtre à l’âge de quarante ans. La création d’Habitat et Humanisme, qu’il fonde en
1985, est le résultat de deux élans : son génie immobilier et sa soif de justice. Quinze ans après il crée l’association La Pierre Angulaire,
réseau de maisons d’accueil et de soins pour personnes âgées à faibles ressources. Bernard Devert est aussi un bâtisseur de liens.
Il est connu par ses interventions régulières dans les médias et auprès des politiques, sur la question du mal-logement, de l’insertion des personnes en difficulté, de l’accueil des personnes âgées, de l’économie sociale et solidaire. Le 7 juillet 2021, il a été nommé président du Haut Comité pour le Logement des Personnes défavorisées et le suivi du droit au logement opposable.
Changer le monde, qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?
La question porte sur des enjeux massifs et disproportionnés au regard de mes possibilités. Mon premier ressenti est celui d’un dépassement, d’une impuissance, mais ce monde est aussi un village dont je perçois, à partir des réseaux sociaux et les médias, les convulsions, les espoirs et les drames.
Je suis un citoyen du monde, blessé par ces voix qui vous parlent avec suffisance et arrogance au nom d’une souveraineté qui est d’abord la leur – bâtir des murs pour que l’étranger ne trouve pas place dans leur chez eux, conçu comme un entre soi, bien décidés à en faire une forteresse.
Que de regards sur le monde,
celui de la peur, de l’inquiétude ou au contraire de cette confiance et même de cette joie de voir, à partir de cultures différentes, une chance de grandir en humanité ! L’humanisme n’est pas un concept, il est une attitude intérieure, une sagesse, au sens où Platon parle de la philosophie comme fille de l’étonnement qui se présente comme les premiers pas vers une filiation qui a pour nom la fraternité, source d’émerveillement.
Ce ne sont pas des mots faciles,
ils sont ceux d’une reconnaissance qui n’est pas étrangère à ces rencontres qui vous font naître à de singulières ouvertures.
Je pense à ce garçon Burkinabé, Wahabou Tarama, qui a quitté sa terre natale à l’âge de 14 ans pour avoir tout perdu, un père, une mère, une famille. Il n’a rien, ni argent ni bagage, il ne sait pas lire et a seulement mémorisé quelques mots de français.
Il est accueilli en France comme mineur non accompagné (M.N.A). Qui donnerait cher de sa vie? Elle est minuscule et pendant quelques mois, elle ne s’exprimera que par des majuscules. Aide Sociale à l’Enfance (ASE), Médecins du Monde (MDM), Mission d’Évaluation et d’Orientation pour Mineurs Étrangers (MEOMIE), Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFRA), Police aux Frontières (PAF).
France Vergely, bénévole, va lui ouvrir un horizon ;
elle lui apprend non seulement le français, mais lui fait cadeau d’un accompagnement riche d’amitié et de bienveillance. Une autre planète se fait jour pour Wahabou qui découvre en lui des capacités qu’il ne soupçonnait pas et c’est ainsi que l’idée d’un récit de vie surgit.
De cette amitié naît un petit livre de 106 pages
dont le titre Mot par mot. Et gravir ce monde est repris dans le 7e album du rappeur Oxmo Puccino, La Voix lactée. Que s’est-il passé ? Une hospitalité, qui ne l’est que si elle est une fraternité, est offerte à Wahabou. Quittant
une planète hostile, il apprivoisa, tel le Petit Prince, celle que France lui fit découvrir. Là, les yeux grands-ouverts, il refuse l’oppression des fatalités, se libérant des inquiétudes et de la mémoire funeste des événements qui ont détruit son enfance.
Le chemin de Wahabou et de France a rejoint le mien:
une ouverture au monde nous invitant à faire nôtre la réflexion de Gandhi : « Sois le changement que tu veux voir surgir ».
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », comme le rappela Jacques Chirac lors du IVe sommet de la Terre, en 2002.
Je sais les choses, dit Rimbaud, mais j’avais les yeux fermés et les oreilles closes.
S’ouvrir à l’autre, c’est nécessairement changer.
Aucun regard, ni réelle écoute, ne permettent l’indifférence face aux différences parfois abyssales qui conduisent à côtoyer la cruauté du monde, ces barbaries triomphantes, dit Edgar Morin.
Que faire si ce n’est changer ?
Il me fut donné au Conseil Économique Social et Environnemental d’intervenir dans un colloque sur ce thème. Il y eut cette question qui m’habite : qu’est-ce que changer ? Un grand silence s’est ensuite établi dans l’amphithéâtre, puis une voix a retenti : « Que faire… devenir meilleur ».
Quelles sont les conditions pour changer le monde ?
Attendre le grand soir est une illusion,
d’autant que la violence opère de par sa brutalité des changements qui sont ceux de la puissance, portant en elle-même la semence des conflits meurtriers et des rancunes assassines.
Simone Veil, la philosophe, introduit comme nécessité l’intelligence éclairée par l’amour, ce que reprend François Cheng dans son ouvrage « de l’âme » : la bonté ne se réduit pas à quelques bons sentiments ou sympathies de circonstance, encore moins à une sorte d’angélisme naïf ou bonasse ; elle est d’une extrême exigence.
Le sujet n’est pas de renverser la table,
ce qui ne serait qu’un coup de colère, mais d’inviter à cette table les acteurs du changement aux fins de verser ce qui est nécessaire pour étancher la soif de l’équité, de la justice et de ce respect de l’autre. La recherche de ce qui peut changer et que l’on doit faire changer relève d’une attente, celle d’un enfant. Alors on prépare un berceau pour accueillir la vie et soudain alors, ceux qui se penchent sur ce berceau s’interrogent : « Que va devenir cet enfant ? ».
Pour lire l’article en entier, REFLETS n° 42 pages 54 à 57