À propos du projet de méga-bassines dans les Deux-Sèvres, nous avons interrogé Juliette Duquesne, auteure et journaliste indépendante. Depuis des années elle étudie les problèmes autour de la consommation de l’eau. Sur ce sujet elle a publié L’Eau que nous sommes, un élément vital en péril (Presses du Châtelet et J’ai Lu)
Le projet prévoit la construction de 16 mégabassines, d’une capacité totale d’environ six millions de mètres cubes. Elles doivent être construites dans le cadre d’un projet porté depuis 2018 par une coopérative de 450 agriculteurs et soutenu par l’État. Ce projet vise à stocker de l’eau puisée dans les nappes superficielles en hiver, afin d’irriguer les cultures en été quand les précipitations se raréfient.
Quel est le problème de fond engendré par ce projet pour qu’il suscite tant d’opposition ?
Ces méga-bassines ne sont pas remplies par la pluie,
mais en pompant soit dans les nappes, soit dans les rivières en hiver pour irriguer notamment le maïs l’été. Parmi ce projet de 16 bassines dans les Deux-Sèvres,50 % de l’eau en volume sera à destination du maïs. Un chiffre qui pourrait être supérieur car, entre 2012 et 2016, sur les mêmes surfaces, la part était de 94 %. Ce maïs sera en grande partie utilisé pour nourrir des élevages intensifs. Dès le début de ce projet, les opposants avaient anticipé ce qu’il est en train de se passer : des nappes phréatiques qui ne se rechargent pas assez en hiver pour pouvoir remplir les bassines sans risque pour la biodiversité.
Les rivières et les marais sont des zones très riches en biodiversité
qui ont besoin de beaucoup d’eau, de crues pour se régénérer l’hiver. Il faut bien évaluer les seuils de débit de rivières en dessous desquels il y a un impact sur ces milieux. En hiver, ces seuils sont bien moins connus.Ce projet est d’autant plus contesté qu’il est financé à 70 % par de l’argent public. Le gouvernement et certains lobbys comme la FNSEA, le principal syndicat agricole, utilisent le changement climatique et ses conséquences sur l’eau. Ils s’en servent pour justifier des prélèvements toujours plus importants, alors que c’est justement la preuve qu’il faudrait plutôt changer de modèle agricole. Même sans le changement climatique, nous aurions un problème avec l’eau. Nous en consommons beaucoup trop.
Il y a plusieurs recours juridiques en cours.
Le risque est que ces bassines soient tout de même utilisées, même si elles sont finalement jugées illégales comme c’est le cas pour le lac de Caussade en Lot-et-Garonne.
Ce choix semble anti-écologique et être le déclencheur de la révolte. Qu’est-ce qui dicte ce choix ?
Comme les algues vertes,
conséquence des élevages intensifs, ces projets de bassines sont significatifs. Tous les acteurs se rendent bien compte qu’il y a un problème. Mais, au lieu de changer de modèle, ils sont à la recherche de solutions toujours plus complexes pour continuer d’irriguer du maïs nécessaire aux élevages intensifs.
En France, l’agriculture consomme plus de 50 % de l’eau.
Un chiffre qui monte à 80 % en été. Des choix agricoles participent à l’assèchement de certaines régions. La culture du maïs représente 41 % des cultures irriguées, d’après l’UFC-Que choisir. Elle a besoin d’irrigation en juillet et août, au moment où les rivières et les nappes sont au plus bas.
En France, la surface irriguée a triplé
entre 1970 et 2000. Et entre 2010 et 2020, la part de la surface agricole utile qui est irriguée a continué d’augmenter de 14 %, selon le recensement agricole de 2020. L’irrigation individuelle des agriculteurs est, en plus, très mal évaluée. Rien que dans le département de l’Hérault, la moitié des forages seraient illicites.
La gestion de l’eau semble un problème entre sa gestion privée (en l’occurrence certains agriculteurs) et la gestion publique d’intérêt général, l’État prenant parti pour le privé.
Est-ce un aspect important de l’affrontement ?
Certains utilisent le changement climatique comme levier d’alerte catastrophique afin de servir des intérêts sur l’eau et créer des marchés de l’eau en sortant cette problématique de la sphère publique ou communautaire. Certains prônent le dessalement de l’eau de mer, au risque de consommer toujours plus d’énergie et de rejeter du sel à l’envi. D’autres préfèrent construire des bassines, qui prélèvent l’eau des rivières et des nappes phréatiques l’hiver pour irriguer l’été, au risque d’endommager les zones humides. D’autres voudraient réutiliser directement les eaux usées ou stocker toujours plus d’eau pluviale.