Jean Vanier a créé sa première communauté en 1964, avec pour mission d’aider les gens en grande fragilité à croître et à être heureux à travers une relation amicale. Il témoigne de son expérience de cinquante ans de vie communautaire : un lieu de parole et d’échange, où l’ego accepte de perdre pour gagner ; un lieu de guérison où chacun prend conscience de ses failles et apprend à devenir plus humain en les acceptant. Il souligne l’importance de célébrer la vie et les êtres pour rassembler et renouveler la motivation de vivre ensemble.
Selon l’Arche, qu’est-ce qu’une communauté?
Une communauté est un lieu de mission et de qualité de relation entre tous les membres. Pourquoi passer par toutes les souffrances et les difficultés de la vie communautaire ?
Grande et claire est la mission de l’Arche. Il s’agit de l’accueil : aider les gens en grande fragilité à croître, à être heureux à travers une relation amicale. Celui qui ne désire pas vivre une relation avec des personnes avec un handicap mental n’a qu’à partir. La mission commande tout avec une exigence d’amour. La communauté doit conduire des êtres humains différents à s’entendre, à être heureux et à résoudre d’éventuels conflits. C’est non seulement un lieu de mission, avec une qualité d’amour et d’accueil et le désir de travailler ensemble, mais aussi un lieu de guérison. Aujourd’hui, nous sommes dans une culture de réussite individuelle. La plupart des gens sont motivés par un ego, un besoin de gagner, d’être plus importants que les autres. Quand on vit ensemble, tous ces désirs doivent disparaître, ou bien c’est la guerre. Les personnes avec un handicap souffrent quand l’ambiance est orageuse. Plus on est inséré dans la mission, plus on prend conscience de nos failles, de nos peurs, de nos violences, de la compétition. Beaucoup viennent ici avec le désir d’aider, mais pétris de la culture où l’on doit gagner. Ils découvrent que la relation les transforme. La communauté agit parce qu’on commence à s’ouvrir.
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La vie communautaire n’est pas simple. Comment renouveler constamment la motivation et la mission? Par des moments de célébration, parce que celle-ci attire. Dans notre monde où le sacré disparaît, il faut trouver des moments pour célébrer ensemble : des célébrations religieuses, la nouvelle lune, le printemps, l’hiver, les anniversaires… Non seulement : « Je vais te donner des cadeaux », mais : « Toi, tu es un cadeau ! » Et tout le monde le dit. L’essentiel dans une communauté, c’est de parler. Nous créons des moments où les gens se rassemblent et disent pourquoi ils sont là et contents d’y être. C’est un lieu de relations de personne à personne, car la qualité d’amour implique de se connaître.
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Il faut savoir perdre. Toute la vie, c’est perdre pour gagner. La mort, l’ultime perte, est le lieu de l’humain par excellence où j’accepte de tout perdre dans l’espérance d’un gain nouveau. En communauté, les gens humbles, au service, sont des gens extraordinaires. Ici, ce sont eux les plus faibles qui font marcher la communauté par leur sourire, par leur bonté. Quand on a la soif de gagner, on écarte les autres. Grâce à la communauté, nous sentons que nous faisons partie d’une grande famille humaine, quels que soient l’âge, le handicap, la culture ou la religion.
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Quelle est la place du sacré dans la réussite de la communauté ?
Avant de parler du sacré, je parlerai des symboles. Avant les repas, on se donne la main et on chante. Il y a des temps où l’on prie. Ces gestes deviennent des symboles ou des rituels de communion. C’est la personne qui est sacrée. Le plus grand sacré, c’est le cri des personnes avec un handicap, leur souffrance. Des fêtes comme Noël, le carême, le ramadan sont des moments sacrés. Parfois, les gens sans foi religieuse ont des rituels autour d’un arbre. Par exemple, dans cette affaire de Charlie Hebdo, ce qui est grave, c’est de se moquer du sacré de l’autre : c’est un geste de violence.
Lire la totalité de l’article…REFLETS n°16 pages 32 à 35