
Pourquoi l’immense majorité des humains prient-ils ?
Pour être exaucés, parbleu !
Quand je pose cette question, il me semble être aussi naïf que notre grand-père Adam. Non pas l’Adam à qui Ève offre la pomme ; plutôt celui, pathétique, du Jugement dernier… Celui de la chapelle Sixtine que Michel-Ange représente à terre la main tendue vers un ciel improbable.
Geste d’espérance ? Geste d’audace ?
Ou bien le fruit d’une inspiration soudaine. Celle qui conduit l’homme à regarder vers l’espace vide qui le sépare d’une autre main : celle de Dieu. Une aventure initiatique pour une émotion inconnue mais certaine. Une émotion qui vient d’ailleurs…
La prière m’a toujours été familière.
Elle m’évoque mon ange gardien,
celui qui me garde de devenir vieux et sot. Je ne suis pas aujourd’hui plus exaucé qu’hier, cependant je signe et persiste. C’est comme une seconde nature, un double de ma carcasse…
Ma prière se promène dans un espace à la fois proche et lointain.
Proche parce qu’elle me dévoile. Lointain parce que je m’y perds. La prière se joue de l’espace et du temps. Elle est insaisissable et cependant palpable.
Elle est d’ici et d’ailleurs,
de toutes les cultures et de toutes les civilisations. Elle s’exprime en toutes langues, même celle du silence. Je prie Jésus et la Vierge Marie. D’autres prient Bouddha, Krishna, Allah, l’Infini, l’Absolu ou le Grand Mystère, l’océan, le ciel ou la forêt. Peu importe, pourvu que les mots, la pensée, les sentiments expriment la vérité et l’amour.
Devant le bonheur qui nous glisse entre les doigts,
on nous enseigne la prière comme ultime recours… « Il ne te reste plus qu’à prier… », dit-on. On croit cela dur comme fer ! Eh bien, c’est faux : prier vient en premier, jamais en désespoir de cause !
D’abord on ne prie pas contre mais pour.
Ensuite prier n’est pas un pis-aller mais une ressource indispensable et sacrée. À utiliser d’emblée, sans attendre, avant même de se trouver dans la tristesse, l’épreuve, l’impasse et le malheur.
Prier est consubstantiel à la joie.
Un art de vivre quand la décision est prise d’être heureux. Un allié contre
l’ego. Une arme pour mon âme et son meilleur ami : mon alchimiste intérieur. Prier, ce ne sont pas seulement
des mots. Il s’agit d’une énergie qui nous est révélée par notre âme et qui se révèle puissamment active au fil de notre changement intérieur. Un talisman ou une clef. Un langage nouveau qui ne me vient ni de mon corps ni de mon cerveau.
Elle me vient d’un Ailleurs indéfini et immense
dont mon âme fait la découverte en marchant. On n’est plus en la compagnie de mots rabâchés mais d’une énergie neuve à chaque instant, à chaque atome d’instant, et qui me transporte en des lieux inconnus. Là où mon bonheur semble bien avoir élu domicile.
Cela vient des mots mais pas seulement…
Cela peut tout aussi bien venir de la nature, du mugissement de la vague, du bruissement du vent dans l’arbre, des étoiles contemplées ou du miaulement de mon chat. Peu importe le véhicule…
Je conviens que la survenue de cette énergie est frustrante, qu’elle joue volontiers à cache-cache ou aux abonnés absents.
Comme toute pierre précieuse, elle est rare.
On ne s’improvise pas d’un coup les jardiniers de nos âmes, car c’est bien de cela qu’il s’agit ! La prière fait de nous les jardiniers de nos âmes.
Je vous livre mon expérience…
Cela commence pour moi comme des étincelles dans la nuit.
Des oasis dans un désert des Tartares où il n’y a rien. J’ai prié en enfant jusque-là pour les plus jolies et les plus laides des raisons. En vrac et en désespoir de cause ! Pour zéro profit ou peu s’en faut ! Un jour, dans l’église d’Orsanmichele à Florence, je sors du musée des Offices et de ses beautés païennes, soudain une force me fait tomber à genoux.
Je pleure. Sans raison.
Rien. C’est soudain et violent. Une émotion étrangement puissante et inconnue s’est emparée de moi dans ce qui est selon toute apparence mon corps et mon esprit. En fait il s’agit de mon âme.
Cette émotion-là ne me vient pas du corps.
Elle n’est que véhiculée par lui et par tous les systèmes nerveux, hormonaux et biochimiques dont il est composé. Elle me vient de l’âme en direct.
J’ai en cet instant le sentiment irrésistible d’être UN.
Le souvenir que j’en ai, aussi indélébile qu’un tatouage, est celui-ci : il n’y a plus d’espace et de temps en moi ni tout autour.
Tout est figé dans un Ailleurs
sans autre identité qu’un horizon qui se dérobe, une quasi perception d’infini dans lequel je serais devenu oiseau. Un voyage sans fin, sans but ni souffrance, porté par une atmosphère légère. Une apesanteur joyeuse. Une fois « revenu à moi », je ne pleure plus, je souris. Je comprends soudain ce que voulait dire Einstein quand il parlait de l’énergie de l’amour.





