Je couchais sur le papier le souvenir suivant : j’étais adolescente et j’ai rejoint mon père dans le jardin. J’aimais bien la proximité de mon père. Je m’intéressais à son travail. Il aimait cela mais il n’était pas toujours bien disposé.
Ce jour-là, il m’a accueillie avec bienveillance. Il s’apprêtait à greffer un arbre. J’étais intriguée par ses outils bizarres et les petits bouts de bois qu’il avait préparés et qu’il appelait des « yeux ». J’étais impressionnée par la minutie avec laquelle il procédait. Et je lui posais plein de questions.
« On greffe un arbre afin qu’il donne de meilleurs fruits », déclara-t-il. Je ne saurais pas reproduire ses gestes, je ne m’en souviens pas, mais je me souviens de l’ambiance harmonieuse qui régnait entre mon père et moi. Je l’observais avec admiration comme si c’était un magicien, une main divine.
Le moment le plus fascinant était quand il me parlait de la couche invisible qui se trouve entre l’écorce et le bois et grâce à laquelle le miracle de la nature se produit. Même s’il s’exprimait mal, j’ai compris qu’il s’agissait d’une sorte de plaque de transmission et de transformation de particules subtiles entre l’ancien bois et le nouveau bois, l’œil, mis en contact. Et sa dernière phrase prononcée sur un ton impérieux me fit tressaillir : « Il ne faut surtout pas mettre le doigt là-dessus ! »
Je l’observais avec respect. Une fois l’opération finie, mon père me dit ceci : « Sache que tout ce que fait la nature est bien. L’homme ne peut que lui donner un coup de main. »
C’étaient des paroles d’un sage. Ce jour-là, mon père m’a ouvert la porte de son monde, il m’a laissée prendre part à son savoir, à son être. Je me sentais unie avec lui dans un immense bonheur.
Le bonheur dans mon souvenir était de courte durée, car aussitôt s’y mêlait le regret que ces moments soient si rares et pire encore, un autre sentiment gâchait tout : mon père bien aimé était un homme méconnu, mal-aimé par son entourage ! Solitaire, aux manières rudes et maladroites, il était incapable de communiquer avec les autres ! Qu’est-ce qu’il a dû souffrir dans son enfermement ! Il détenait une si grande sagesse et il était incapable de la transmettre !
Et tout à coup, je trouvais que nous nous ressemblons. Moi aussi je sens quelque chose en moi que je n’arrive pas à partager avec les autres. Je me sentais unie avec mon père dans une immense douleur.
Je communiquai ma constatation à l’animateur comme une belle trouvaille.
Il était étonné. À quoi ça sert, dit-il, de pratiquer une voie spirituelle si on se contente de découvrir une douleur commune !? Je me crispe et j’écoute toute penaude. Si c’est seulement pour fouiller dans une douleur, mieux vaut ne pas mettre le doigt dessus !
À ces mots, je sursaute. J’ai envie d’éclater de rire. Ce sont exactement les mots que mon père a employés ! Quelle belle coïncidence ! Mais je sens que l’animateur n’a nullement envie de rire. L’heure est grave. Je n’ai rien compris ! J’ai mal fait l’exercice ! J’ai projeté ma propre souffrance sur mon père, dit-il. Et c’est cette souffrance qu’il faut traiter.
La séance était terminée. Je laissais tout décanter pendant la nuit et le lendemain, je reprenais le travail. Je versais toutes les émotions qui m’avaient envahies la veille sur le papier. Il y en avait une qui dominait largement et c’est sur elle que je me concentrais : je faisais mal la pratique. Je ne répondais pas aux exigences. Je ne comprenais plus rien. J’étais perdue !
Aussitôt je me sentais lycéenne tenant en mes mains le contrôle catastrophique de mathématiques. Le baccalauréat approchait… Je n’étais pas à la hauteur ! Je n’avais personne qui pouvait m’expliquer. J’étais perdue !
Je me consolais. La consolation engendre un état spécial, un apaisement propice à la réceptivité de tous les sens, une miséricorde aimante pour soi-même et pour les autres. Cet état permet de se connecter à son ange, ou à sa partie immatérielle ou à sa partie meilleure, peu importe le mot. Ce dialogue avec son ange nous élève. Dans cet état transformé, cet état de conscience supérieure, nous pouvons recevoir de la part de notre ange la suggestion d’un acte pour agir dans le bon sens.
Une fois atteint le stade de l’apaisement, je questionnais mon ange et voilà ce qui s’est produit.
Par écrit, je demande à mon ange comment je dois m’y prendre pour rester dans cette sphère supérieure où je me trouve au-dessus de ma blessure … Je lui demande de m’envoyer des signes et de m’aider à les interpréter. Tout à coup je commence à saliver ! Moi qui ai plutôt la bouche sèche, je sens une salive abondante. Et j’entends quelque chose en moi me dire et je note tout : « Oublie la scène pénible où tu étais à sec ! Remplis-toi de vie ! Laisse faire la nature ! Laisse monter la sève en toi ! Change ! Comme l’arbre greffé par le divin ! Tu es un arbre greffé qui va porter des fruits ! Laisse ta sève aller dans la greffe ! La sève c’est ta ‘sa livre’. »
Je me rends compte que j’ai fait une erreur. Tiens, tu as écrit « vivre » ! Non, « ivre » ! Mais non, je réalise enfin, j’ai écrit « livre » !
N’est-ce pas une réponse ? Je dois écrire un livre ! Depuis longtemps, je sens ce besoin sans qu’il puisse prendre forme. Mais pourquoi féminin ? « Sa livre » ? Je décide de ne pas en tenir compte et me laisse porter par ma joie d’avoir été connectée un instant à mon ange. Je continue à le questionner pour savoir quel livre je dois écrire, mais il ne veut plus me répondre.
Après coup, je comprends tout !
Ou presque. Est-ce que ce souvenir de mon père ne m’offre pas une belle métaphore de la pratique spirituelle proposée par les ateliers d’écriture ? Est-ce que ma douleur réveillée et transformée n’est-elle pas une belle démonstration ? Combien l’animateur a raison !
Rien ne sert de fouiller dans le passé pour raviver une douleur. Nous le faisons trop souvent dans notre quotidien, nous ressassons nos misères sans pouvoir s’en défaire. Il faut décider de sortir de ce cycle infernal, ce cycle traumatique. Il faut ouvrir l’œil, voir sa misère, mais surtout ne pas mettre lourdement notre doigt dessus ! Il faut s’abandonner à la force transformatrice, se rendre disponible afin que le mystère puisse opérer. Ainsi la misère est transformable. Comme l’arbre est rendu meilleur grâce à la greffe, nous pouvons atteindre la meilleure partie de nous-mêmes par la pratique spirituelle grâce à la connexion à notre ange.
Et en fin de compte, si mon ange ne répondait plus parce qu’il m’avait dit ce qu’il avait à me dire ? Ce n’est peut-être pas un livre qu’il veut que j’écrive. Il voulait simplement me dire que ce que j’ai découvert, « ça livre » une métaphore !
Le sujet de l'atelier : Que ressentez-vous vis-à-vis des propos de Macron concernant les non vaccinés ? Il veut les emmerder. Il les appelle des irresponsables qui ne sont plus des citoyens.
J’ai fait une découverte d’une importance capitale.
Lors d’une soirée AER, j’ai enfin ressenti d’une façon flagrante ce que je n’avais admis que théoriquement ou que j’avais expérimenté et oublié de nouveau. J’ai fait en quelque sorte une expérience qui apportait la preuve de la croyance. Et ce qui m’est arrivé correspond, au fond, à l’air du temps : la science est en train de valider ce que les sages savent depuis toujours.
Ce sujet me laissait de marbre.
Depuis un bon moment je me suis fait une carapace contre cette polémique entre les vaccinés et les non vaccinés.
Je ne prends plus part aux conversations sur la pandémie. Et quant à notre président, je n’ai aucune hargne, je le comprends, je le plains même. Je dis toujours que je ne voudrais pas être à sa place !
J’ai donc écrit un texte dans lequel j’étais calme, compréhensive. J’étais contente de moi, pensant que j’étais une personne objective, pacifique et déjà dans le meilleur de moi-même.
Mais ça ne marche pas comme ça, la méthode AER !
Excuser l’autre c’est éviter de se voir ! ! !
Si je veux faire quelque chose pour moi, dit l’animateur, si je veux progresser dans l’ascension vers ma partie lumineuse, je dois descendre dans ma douleur.
Alors, j’ai reconsidéré le sujet et je suis arrivée très rapidement à la conclusion que dans ce contexte, j’étais impuissante. Cette émotion me renvoya, en une fraction de seconde, à un souvenir que j’avais déjà abordé : j’approchais mes 15 ans. Pendant l’entraînement d’athlétisme qui se tenait au stade situé à 2km de la gare de la ville où je me rendais en bus, j’ai fait la connaissance d’un jeune footballeur de 17 ans. Du premier regard, nous sommes tombés amoureux. Après l’entraînement, il me raccompagnait à la gare, il poussait son vélo d’un côté, il me donnait la main de l’autre. Nous parlions, nous étions heureux. C’était un amour innocent, pur. Nous ne faisions rien de mal. Nous ne nous sommes même pas embrassés. Ce bonheur a duré 2 mois environ, jusqu’à ce qu’un orage éclate.
Cela a commencé par des paroles moqueuses de ma mère.
Puis : « On est au courant de tout ! » …Une amie de ma belle-sœur qui habite dans la rue menant au stade nous avait vus, elle l’a vite raconté à ma belle-sœur. Celle-ci s’est empressée de le rapporter à mes parents. Mon père est allé à vélo à la gare pour nous observer !
Toutes ces révélations s’abattaient sur moi avec fracas.
Les reproches grondaient, une sorte de triomphalisme sardonique jaillissait. Ils étaient plus forts, plus futés que moi, la petite cachottière qui ose avoir un ami à son âge !
Il faut savoir que mes parents ont fait de grands sacrifices pour m’envoyer au lycée, il n’était pas question que je mette mes études en péril en flirtant avec un garçon. On ne sait jamais ce qui peut arriver ! Ils n’avaient pas fait mon éducation sexuelle. On ne parlait pas de ces choses-là. Ils ne savaient pas le faire ; ils étaient profondément gênés. Ils étaient dépassés par l’événement et dans leur panique ils ne voyaient qu’un moyen : l’autorité ! Et la sanction tomba : « Non seulement tu ne reverras pas ce garçon mais tu n’auras pas d’ami avant tes 18 ans ! Tiens-le-toi pour dit ! «
Et j’obéissais.
Je dois ajouter que j’avais constaté qu’il m’arrivait de rêver de lui pendant les cours et que j’avais perdu le fil en mathématiques. Il y avait un réel danger.
Et je me tenais à l’écart des garçons pour ne pas être tentée.
Je les observais de loin, je me faisais mon petit cinéma… Et quand j’ai eu tout juste 17 ans, j’ai rencontré, en leur présence, mon futur mari.
Puisque je m’étais déjà consolée, que j’avais déjà pardonné, je considérais que j’avais réglé le problème. Et je pensais que c’était peut-être même grâce à cela que j’étais arrivée à cette opinion pondérée. Mais non, dit l’animateur.
Un souvenir qui revient est un souvenir qui n’est pas épuisé.
Il faut le reprendre en cherchant le détail nouveau qui touche. Travailler dessus signifie consoler l’enfant et pardonner le bourreau. Il y a des souvenirs intarissables, il faut les reprendre sans cesse, ainsi on gagne, millimètre par millimètre, de la miséricorde.
Je l’écoutais avec une certaine réticence, car mon ego était puissant. Il plaçait devant moi le bouclier pour éviter de souffrir à nouveau. Mais une petite voix me disait que je devais me prêter au jeu. L’animateur n’avait pas fini de parler que, dans mon souvenir, je voyais un regard de ma mère !
Ce regard insupportable m’ouvrit tout un aspect que j’avais occulté :
mes parents m’ont humiliée ! Et je ne me suis pas défendue. Et la plaie se mit à saigner, je pleurais à chaudes larmes.
Et je consolais la jeune fille. Je lui disais des mots tendres. Je me plongeais davantage dans la peau de mes parents. Je ressentais leur gêne, leur peur, leur panique. Pour eux, cette sanction était le seul moyen de sauver leur plan qu’ils avaient échafaudé pour mon propre bien. Je ressentais l’intérieur de ma mère pétrie de complexes et de désir de s’affirmer. Je ressentais l’impuissance et la maladresse de mon père. Je souffrais à leur place et je les comprenais. J’avais envie de les prendre dans mes bras afin qu’on joigne nos douleurs qui, ainsi, s’atténuaient.
La prochaine étape est de transposer cet état d’âme à la situation actuelle.
J’étais sur le point de me dire : au fond, je n’avais pris qu’un raccourci ! Ce que je pense maintenant est exactement la même chose que tout à l’heure ! Mais aussitôt je constatai mon erreur monumentale. Il y avait une différence gigantesque : j’étais dans deux états totalement différents.
Tout à l’heure j’étais dans un état cérébral.
J’étais distante, froide, figée dans une opinion calculée. J’étais dure comme une pierre. Maintenant, je ressens les choses avec le cœur. Je suis dans un état vibratoire, je me sens en mouvement, une fluidité, capable de me mélanger à une autre substance.
Ainsi j’étais capable d’entrer à l’intérieur d’une autre personne, d’entrer en Macron, de ressentir ce qu’il ressent… Et que de similitudes avec mon souvenir, avec le comportement de mes parents !!! Et j’éprouvais une grande affection pour lui, j’avais de la miséricorde pour lui.
Après cette expérience, je pense très fortement à lui avec le cœur. Et je lui souhaite l’aide de Dieu pour s’en sortir.
Cela s’est passé lors d’un week-end AER.
J’avais prévu de demander conseil pour un problème qui me poursuivait depuis plusieurs mois.
Une relation d’amitié qui avait tourné au vinaigre. Une histoire très complexe dans laquelle mon sentiment d’infériorité jouait un grand rôle. J’avais déjà appliqué la méthode Reflets deux fois sans parvenir à trouver une solution.
J’appréhendais la première journée et vers le matin, je faisais un rêve.
Je suis dans une pièce avec une petite fille. Il y a une grande baie vitrée qui donne sur le jardin. Au fond de ce jardin, il y a une femme qui appelle la petite fille qui est en train de jouer. Dans un soubresaut inexplicable, toute crispée et pressée, la petite fille se jette sur le grand lit, se colle contre le mur et se fait toute petite. Apparemment, elle n’a pas envie d’être vue. Ce qui, en effet, est impossible parce qu’elle était complètement sortie du champ de vision de la personne qui l’appelait. Dans un mélange de crainte, d’espoir et de pétulance, la petite me demande : « Elle me voit ? »
Et là, je lui réponds en souriant, j’entends encore résonner chaque mot dans ma tête, en allemand, ma langue maternelle : « Kannst du um die Ecke gucken ? » (Est-ce que ton regard est capable de contourner un coin ?)
« Non ! » réalise-t-elle.
Je la prends dans mes bras, elle se laisse faire, et je l'approche de la fenêtre.
La femme dehors s'approche également. Il y a maintenant un enfant auprès d'elle. Les deux font joyeusement signe de la main. Et la petite fille et moi nous agitons nos mains avec autant de gaîté et d’envie de nous rencontrer.
Les circonstances ont voulu que l’activité dans la matinée m’a braquée contre mon animateur.
L’après-midi, je lui exposai mon problème et il me dit qu’il n’y avait aucune autre possibilité que de traiter cette misère encore une fois d’après la méthode Reflets: trouver qui je suis dans cette situation, l’accepter, faire venir un souvenir, consoler la petite fille et son bourreau, transposer le nouvel état d’âme à la situation actuelle, dialoguer avec son ange et trouver un acte.
Je m’exécutais et dès la première étape je bloquai, me trouvant devant un nœud d’émotions inextricables.
Comme un fait exprès, l’animateur n’était pas disponible tout de suite et l’attente augmentait ma négativité à tous égards. Je regrettais d’avoir mis ce problème sur le tapis. Le plus simple était de ne plus voir cette personne, un point c’est tout.
Tout en essayant de me raisonner, je cherchais un souvenir de mon enfance qui corresponde à cet état et voilà que surgit l’image d’une vieille dame qui venait faire le ménage chez mon cousin avec qui je jouais parfois. J’avais le sentiment que cette vieille dame ne m’aimait pas. Un jour, elle était injuste envers moi, voire méchante et je n’avais aucun moyen de me défendre. J’avais décidé de l’éviter.
Quand, finalement, je fis part à mon animateur de mon embrouillement, il me rappela qu’il fallait traiter la première émotion !
C’était donc : je me sens inférieure. Je lui dis que justement, je n’avais pas trouvé de souvenir concernant le sentiment d’infériorité. Il me répondit que ce souvenir de la méchante dame en était bien un ! J’allais jusqu’au bout de ma rébellion : le sentiment d’être inférieur socialement et le sentiment d’être inférieur en tant que petite fille vis-à-vis d’une vieille dame n’est pas le même !
– Eh bien si !!!, me riposta-t-il.
Je sentais que je devais laisser tomber toute résistance, car la solution existait bel et bien, mais emprisonnée dans mon entêtement, je ne la voyais pas, je ne voulais pas la voir. Mon ego se rebiffait, je refusais d’être guidée par la meilleure partie de moi. Je refusais que mon ange me rencontre.
Et tout à coup, je me souvenais de mon rêve du matin ! Un rêve qui avait tracé ce qui allait se passer dans la journée ! ...
Je rentrais docilement dans mon souvenir, je ressentais toute la douleur et je consolais la petite fille. Je comprenais la vieille dame qui ne connaissait pas bien la gentille petite fille que j’étais et qui a mal interprété certaines choses et qui, au fond, n’était pas méchante du tout.
Je conseillais à la petite fille de retourner voir cette dame en se montrant de son meilleur côté, avec un grand sourire désarmant.
Et je ressentais avec vivacité le pouvoir magique que détenait la petite fille, que je détenais en tant qu’adulte… ce pouvoir de transformer des gens, de transformer des situations, après s’être transformé soi-même.
Sujet de l’atelier : Le bilan du week-end
In der Kürze liegt die Würze
Mot à mot : dans la brièveté il y a l’épice. Autrement dit : la concision donne du piquant
De retour de mon Week-end AER, je fais mon bilan. L’essentiel que j’ai retenu se résume en cette phrase :
L’INTERIEUR crée L’EXTERIEUR !
Je suis en train d’écrire la conclusion dans mon cahier : Je n’ai qu’à changer l’intérieur
Je m’arrête, car je trouve que c’est une erreur, j’aurais dû écrire « mon intérieur » ! Mais j’hésite de rayer le « l » pour le remplacer par « mon ». Je n’ai pas envie de faire une rature, je ne veux pas enlaidir la page. Mon stylo s’avance pour le faire, je le retire, il s’avance, je le retire. Ainsi, j’hésite longtemps. Quelque chose me retient. Pour éviter de faire une rature je pourrais peut-être changer la suite ?
Je finis par opter pour le changement et j’ajoute « de moi ». Je relis : « Je n’ai qu’à changer l’intérieur de moi » Que ça sonne mal ! Mais à peine achevé cette pensée, mon regard fixe le dernier mot, le « moi », et je sursaute. J’ai employé le mot d’un centre de conscience ! Le « moi » !
Et je réalise : la force qui a retenu mon stylo de faire la rature m’a poussé à écrire ce mot afin que je prenne conscience de quelque chose ! Je dois changer de niveau ! Je dois passer du « moi » au « je » !
L’INTERIEUR crée L’EXTERIEUR. Une belle formulation que j’avais retenue. Mais je n’avais pas prêté suffisamment attention à l’appel qui m’était adressé.
Une personne avec un petit « moi » à l’intérieur est egocentrique. À moi ! à moi ! Le « moi » attire tout vers son centre, il capte son entourage. Il est centripète ! Le mouvement va de l’extérieur vers l’intérieur.
Tandis qu’une personne avec un « je » dans son centre s’ouvre aux autres, donne aux autres ! Le « je » est centrifuge !
Tout part du centre vers l’extérieur.
Et c’est cela que je devrais atteindre. C’est ça l’essentiel !
Sujet de l’atelier : Racontez votre toute première histoire d’amour
AMOUR ÉPHÉMÈRE
Je me souvenais d’une journée de kermesse, la seule fête dans le village à mon époque, où j’avais la permission d’aller avec quelques enfants de mon âge, nous avions une dizaine d’années, goûter les joies de la kermesse. Tout à coup, apparut un garçon inconnu, un tout petit peu plus âgé. Quelqu’un de mon groupe le connaissait et disait du mal de lui. Il jouissait d’une mauvaise réputation, c’était un petit magouilleur. Moi je le trouvais charmant. Il était venu à vélo du village à côté, à 7 km. Et il s’intéressait à moi. Il s’adressait à moi avec une douceur infinie, une gentillesse incomparable. Il me touchait, je vibrais, il y avait quelque chose entre nous que je n’avais jamais ressenti auparavant. Il m’invitait à faire des tours de bateaux-balançoires, mon attraction préférée. Nous nous élancions vers le ciel, si haut que le monsieur du stand a dû actionner les freins. J’étais aux anges, j’aimais ce garçon. Il m’offrait des sucres d’orge, des têtes de nègre, il se promenait tout près de moi. Je sentais son corps maigre, sa vivacité, son ingéniosité, il était différent des autres. J’étais heureuse. Certains se moquaient de nous. La bonne élève et le cancre ! Je m’en fichais. Il allait revenir le lendemain.
Je ne me souviens pas comment s’est passée la deuxième journée. Et je n’ai jamais plus revu ce garçon. Je ne me rappelle même pas de son nom. Il m’est resté de cette histoire un sentiment de profond bonheur. Un bonheur très court. Et aucun regret.
Forcément, cette petite fille a dû être déçue de ne plus revoir ce garçon. Mais je ne me souviens d’aucune souffrance. Accepter la rupture était le seul moyen pour rendre la situation supportable car comment faire à cet âge, à cette époque, dans les années 50, pour que deux enfants se revoient ?
J’avais une certaine facilité d’accepter les souffrances. J’ai été élevée par ma mère pour être raisonnable. Elle m’inculquait qu’il ne faut pas demander trop, être content de ce que Dieu m’a donné. Réclamer davantage était un péché et Dieu pourrait me punir. J’étais une petite fille très raisonnable. Je souffrais de beaucoup de choses en silence. Et en tant qu’adulte j’ai toujours tendance à occulter ma douleur.
Hélas, une souffrance acceptée reste une souffrance vécue. Et d’après la méthode AER, accéder à cette douleur permet de la transformer. Ainsi on peut aboutir à la miséricorde pour soi-même et pour les autres.
J’essayais donc de me replonger dans la scène, de scruter la douleur de cette petite fille amoureuse, sans aucun espoir. Une semaine passe sans que je réussisse.
Hier soir, j’ai eu l’idée de prendre l’album photos de mon enfance pour voir un peu comment j’étais. Je possède moins de 10 photos de mes 10 premières années ! Une me sautait aux yeux : un portrait agrandi en noir et blanc. Que j’étais jolie ! Pas belle, mais d’une fraîcheur et d’une fragilité touchantes, un visage souriant avec une pointe de timidité. La petite robe blanche à pois foncés réhaussait la clarté de la photo. Il y avait quelque chose d’immaculé.
Très tôt ce matin, je marchais dans les rues de Paris. Je tombais sur une dame qui venait dans ma direction tenant son chien en laisse, une laisse très longue. Allez, viens ! dit-elle avec un sourire patient. Le petit chien blanc se tenait immobile comme s’il était incapable d’avancer. Il était beau ! Tout blanc, tout fin, une véritable petite princesse de chien. Elle était malheureuse, je le sentais. Il émanait quelque chose d’elle qui se propageait au plus profond de moi-même. Une détresse, une déchirure, un désarroi monstrueux. La petite chienne piétinait fiévreusement le sol avec ses petites pattes, se retournait, regardait sa maîtresse, se retournait… Au loin, un chien un peu plus grand, maigre, à l’aspect roturier, la regardait, tirait sur sa laisse, voulant la rejoindre.
Les deux chiens avaient apparemment vécu une rencontre de promenade… ils s’étaient croisés, reniflés, ils s’étaient plus…
J’étais à la hauteur de la petite chienne blanche. Elle était amoureuse à fondre des pierres. Son cœur pleurait d’envie, de regret, elle souffrait le martyre, mais elle était tenue en laisse. Je continuais mon chemin. Le monsieur loin devant moi tira sur la laisse de son chien, celui-ci se retourna, se secoua comme un chien se secoue après avoir traversé l’eau et il finit par trotter tranquillement à côté de son maître. Avait-il déjà oublié sa petite copine ?
Je ne sais pas comment s’est comportée la petite chienne princesse au poil immaculé. Je ne me suis pas retournée.
Mais je me suis souvenue aussitôt de ma première histoire d’amour.