LES DÉSERTS MÉDICAUX
Selon l’atlas de la démographie médicale
du conseil national de l’Ordre des médecins (C.N.O.M.), le nombre de médecins généralistes en activité régulière, au 1er janvier 2022, a diminué de 11 % depuis 2010 et de 0,9 % au cours de la dernière année. Ils sont 84 133 enregistrés, soit une perte de 10 128 médecins en 12 ans.
Cette baisse devrait se poursuivre
dans les dix prochaines années, notamment en raison du départ en retraite de près d’un quart des effectifs. Le conseil de l’Ordre estime qu’en 2025 les généralistes qui exercent de façon régulière ne seront plus que 81 912. Plus d’un quart d’entre eux ont plus de 60 ans, ce qui risque d’accentuer la diminution de leur nombre dans les années à venir.
Parmi les généralistes, 56 % exercent en libéral dont les deux tiers sont remplaçants. Le nombre de salariés, 38 %, tend à croître et dépassera celui des libéraux. Or ce sont ces derniers qui répondent aux demandes de soin de premier secours.
À cette insuffisance s’ajoute une forte disparité territoriale.
De nombreux départements ont une densité de généralistes
qui est la moitié de la moyenne nationale, et plus précisément dans les zones rurales et dans les petites villes. Les délais d’attente sont considérables quand la réponse la plus courante est : « Le docteur X ne prend plus de nouveaux patients ».
Les délais sont pires pour les spécialistes. S’ajoutent les distances pour aller consulter dans une grande ville où ils sont regroupés. Récemment, une réfugiée ukrainienne dans le centre de la France a dû attendre un mois pour une urgence dentaire malgré les interventions de notables essayant d’user de leur influence.
Une étude de la D.R.E.E.S.
(Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) montre que le délai médian d’obtention d’un rendez-vous chez un ophtalmologiste est de 29 jours à Paris, de 71 jours dans les communes hors influence des pôles, de 76 jours dans les communes des grands pôles ruraux, et de 97 jours dans les communes des petits et moyens pôles, lesquelles sont parmi les moins bien dotées en ophtalmologistes.
20 % des communes françaises se situent à plus de 30 minutes d’un service d’urgence. Le manque de personnel, la surcharge de travail allongent les délais d’attente pouvant atteindre des heures.
Pour y suppléer, le recours aux médecins étrangers a été favorisé.
Ils représentent 10 % des effectifs, en augmentation constante. 43 % ont obtenu leur diplôme en Roumanie.
En conclusion, seulement 20 % de la population a accès aux soins de médecine générale sans trop de difficultés. Environ 6,3 millions de personnes n’ont pas de médecin traitant. Or c’est le maillon indispensable pour accéder aux spécialistes.
Les réponses gouvernementales n’ont pour le moment que peu d’effet.
Notons la suppression du numérus clausus. La loi du 23 décembre 2022 sur le financement de la sécurité sociale contient certaines mesures bien insuffisantes devant l’ampleur du désastre.
L’E-MÉDECINE
Il semble que les hautes sphères misent sur l’avènement des nouvelles technologies
pour répondre aux demandes de soin de la population. Selon Olivier Babinet, expert numérique à l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap), « le numérique est à l’origine d’une vraie révolution pour refonder notre système de santé ». Le patient devient un « e-patient », de sa prise de rendez-vous en ligne au diagnostic assisté par l’intelligence artificielle, utilisant la télésanté et naviguant dans le labyrinthe de l’hôpital numérique.
Selon cet expert, le temps du patient « ignorant », qui consulte passivement son médecin « omniscient », touche à son terme. L’ère qui s’ouvre est celle de l’« e-patient », celui qui s’informe sur Internet, recueille ses données de vie réelle sur sa balance ou sa montre connectée au détour de ses consultations. Le patient souhaite participer activement à la prise en charge de sa maladie au travers d’actions préventives. En s’auto-évaluant pour anticiper des complications, il devient garant de sa santé au quotidien, et trône au centre de gravité des politiques de santé.
La crise sanitaire de la Covid-19 a « boosté » les outils numériques en santé
toujours selon Olivier Babinet, . En particulier, le confinement a généralisé la télésanté au sens large, qui englobe les 5 actes de la télémédecine (téléconsultation, télé-expertise, télésurveillance, téléassistance et télérégulation médicale) et le télésoin. Dans tous les cas, il s’agit d’une innovation organisationnelle et non, comme on l’entend parfois, d’une innovation médicale qui impliquerait une nouvelle façon de soigner.
L’engagement des pouvoirs publics est net.
Afin d’accélérer cette numérisation de l’ensemble du processus de prise en charge, le financement de l’informatique médicale a été soutenu par des aides financières successives de l’État au travers de différents programmes. Le dernier d’entre eux, le programme Ségur du numérique en santé, est un investissement inédit de 2 milliards d’euros, dont 600 millions dans le secteur médico-social, et a une ambition : « généraliser le partage fluide et sécuriser des données de santé entre professionnels et usagers pour mieux soigner et accompagner » et passer de 10 millions à 250 millions de documents médicaux échangés par an d’ici fin 2023 !
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Selon le site acteurs publics, un sondage montre que pour 2 Français sur 3, le numérique est une priorité pour améliorer notre système de santé. Les sondés citent en premier la recherche (43 %), l’optimisation des parcours de soins (42 %) et la prévention (42 %) comme étant les activités sur lesquelles il faudrait concentrer les efforts et les ressources pour développer le numérique dans la santé.
Notons que parmi les réfractaires à la priorisation du développement du numérique dans la santé,
60 % y sont opposés car ils considèrent que la relation humaine (en personne) entre les patients et les professionnels de santé est la base de la confiance dans le système de santé, 44 % parce qu’une partie de la population n’utilise pas les outils numériques et que leur déploiement va renforcer l’inégalité d’accès aux soins, et 36 % parce qu’il y a d’autres problèmes plus urgents à régler.
MÉDECINE TRADITIONNELLE ET MÉDECINE NUMÉRIQUE
La réponse aux besoins médicaux de la population
par la technicité informatique correspond au développement de la pensée numérique et à son industrie. Les experts auxquels les pouvoirs publics s’adressent ne sont pas des soignants mais des spécialistes du numérique et de l’intelligence artificielle (I.A.). Ils abordent le sujet comme ils abordent d’autres problèmes économico-industriels tels l’automobile, le logement ou l’alimentaire.
Selon Christophe Richard, dans Hegel 2018/3 (N° 3), « la médecine numérique : nouvelle spécialité… nouvelle médecine ! » : « La fulgurance des progrès du numérique questionne la médecine mais tend à opposer technologie et médecin et, insidieusement, à éloigner le patient de son médecin…
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 49 pages 5 à 10