Confidence d’artiste
L’écritothérapie
Bernard Werber
Bernard Werber est vraiment un écrivain étonnant. Il écrit des livres géniaux qui sont le fruit de son intuition. Chose surprenante, il ne croit pas à ce qu’il transcrit. Ainsi, il parle avec brio des anges, des morts, de l’au-delà sans se sentir impliqué. Il souhaite garder son libre-arbitre. Auteur à succès de 23 romans traduits dans plus d’une trentaine de langues, Bernard Werber fait de l’écriture un mode de vie, et même une psychothérapie. Heureux par l’écriture quotidienne. Ainsi depuis peu, il propose des ateliers d’« écritothérapie ». « Plutôt que de faire une psychanalyse, si quelqu’un ne va pas bien, s’il raconte sa vie par écrit, même si ce n’est pas publié, ça lui fera du bien. » Fort de son expérience, il dévoile ses secrets d’écriture, l’art de la construction romanesque et explique comment passer du libre cours à la créativité. www.bernardwerber.com
A quoi attribuez-vous votre imagination débordante ?
Quand je suis arrivé sur cette planète, j’avais déjà un premier souci : le système scolaire ne me convenait pas. Tout ce que l’on propose à un enfant comme mécanisme d’insertion m’égratignait. Je n’étais pas bon, comme élève et comme camarade. À partir de là, pour m’enfuir avec mon esprit, j’ai développé un imaginaire à travers le dessin et la musique.
À 5-6 ans, mon professeur de dessin disait que, comme j’allais être peintre ou dessinateur, ce n’était pas la peine de m’apprendre d’autres matières. J’avais trouvé une échappatoire par le dessin. Vers l’âge de 8 ans, j’ai fait une rédaction qui s’appelait « Souvenir d’une puce ». Le professeur m’avait mis une mauvaise note, car il y avait cinq fautes d’orthographe, mais il a reconnu qu’il s’était régalé en la lisant. Dès lors, j’ai pris cela pour un signe : quand je raconte des histoires, on m’apprécie. C’est comme si la société me disait : « Là, enfin, tu nous intéresses. » Je me suis aperçu ensuite que, quand je n’allais pas bien, il suffisait que j’invente une histoire comme un rêve éveillé pour aller mieux. À partir de là, j’ai renforcé mes points forts plutôt que combler mes points faibles. Vers l’âge de 9 ans, on a détecté chez moi une maladie, la spondylarthrite ankylosante. Déjà j’avais des lunettes, je n’étais pas bon en sport, et avec cette maladie, je commençais à arriver en cours avec une canne. Et à 9 ans, un type qui arrive comme un petit vieux, cela ne participait pas vraiment à mon insertion. Du coup j’écrivais et je lisais de plus en plus pour fuir dans des mondes imaginaires.
Quand cela ne va pas, j’écris une histoire
À 13 ans, alors que j’étais passionné de sciences, j’ai échoué au passage en section scientifique (parce que j’avais oublié de tourner la page de l’énoncé). Je suis rentré en section économique et, comme je m’ennuyais beaucoup, j’ai créé un journal dans lequel je racontais des histoires. Les fourmis a été l’un des premiers scénarios que j’ai écrits pour ce journal. Je devais avoir 14 ans. J’ai passé un cap, c’est-à-dire qu’avant on me tolérait comme raconteur d’histoires, mais là je commençais à intéresser en tant que créateur de journal. Depuis, quand cela ne va pas, j’écris une histoire. L’autre apport de l’écriture, c’est que j’ai l’estime de l’entourage. Plus tard, je suis allé à la fac de droit et j’ai raté mon examen. À partir de là, je n’avais pas le choix. Il fallait continuer dans ce système de compensation de mes échecs de la vie courante, par une fuite par l’art et notamment par l’écriture imaginaire. Parallèlement, pour m’améliorer je lisais de plus en plus. Certains auteurs sont entrés en résonance avec moi et m’ont enseigné l’art de bâtir des univers complexes qui peuvent tenir sur plusieurs centaines de pages. Notamment Isaac Asimov avec fondation, Frank Herbert avec Dune, J.R.R Tolkien avec Le Seigneur des anneaux, et évidemment Jules Verne avec la série sur l’Île Mystérieuse. Je comprenais que plus le récit est long, plus il faut une structure cachée solide, une armature, un squelette, pour que cela tienne jusqu’au bout. Si on n’est pas assez rigoureux dans son plan et sa structure, les fondations s’enfoncent et le récit s’effondre. J’utilisais aussi le jeu d’échec comme moyen de déplacer et faire combattre mes personnages. Ensuite, il fallait mettre le maximum d’énergie pour réussir la fin. Pour moi, l’histoire, c’est un jeu dans lequel il y a une solution inattendue à laquelle on ne pense pas tout de suite.
Je fais ma psychanalyse en écrivant
Quand vous écrivez, cela vous fait-il du bien encore maintenant ?
En fait, je suis étonné que tout le monde ne fasse pas cela. Quand les gens me racontent leurs problèmes, se sentent coincés, j’ai envie de leur dire : « Libérez-vous en racontant une histoire dans laquelle vous transférez votre problème dans l’intrigue, pour faire chercher une solution par votre personnage ». Je fais ma psychanalyse en écrivant. Dans les master class que je donne actuellement, je demande aux participants d’oublier leur prof de français, de ne pas faire une jolie rédaction, mais une jolie histoire dont ils sont le héros et d’utiliser leur personnage pour résoudre leur problème personnel principal.
D’où vient votre attirance pour les expériences extraordinaires, inhabituelles ?
Ce que je ne comprends pas, c’est le manque de curiosité de certains de mes contemporains. S’il y a un truc nouveau, je veux voir. À l’âge de 13 ans, il m’est arrivé une chose assez extraordinaire alors que j’étais en colonie de vacances. Je rencontre un autre enfant de 13 ans, Jacques Padovani, qui était tout le temps souriant, détendu, de bonne humeur. Je lui ai demandé d’où venait son calme. Il m’a répondu qu’il pratiquait du rāja yoga. Je lui ai demandé de m’apprendre. Il m’enseigna à me lever tôt le matin pour voir le lever du soleil. Il m’a aussi montré comment respirer en conscience, fixer mon regard, manger en sentant les aliments entrer dans mon corps. En fait, il m’a appris à vivre. Par la suite, j’ai essayé de trouver dans des clubs de yoga, y compris de rāja yoga ce qu’il m’a appris, mais il n’y avait que la partie « gymnastique » et pas la partie « prise de conscience » et je n’ai plus jamais retrouvé un enseignement aussi fort. Mais je suis content du fait que depuis peu les magazines féminins, les revues commencent à parler de la méditation, du yoga, autrement qu’en le laissant sous l’image ancienne de la religion ou de la gymnastique pour retraités. Jacques allait très loin, il me disait qu’il arrivait avec son esprit à sortir de son corps pour pratiquer quelque chose comme le voyage astral. J’ai utilisé ce thème pour certains de mes romans plus tournés vers la spiritualité, comme le prochain : Depuis l’au-delà.
Chaque journée où je suis vivant est un cadeau
Est-ce que vous avez une pratique spirituelle ?
Il y a 7 ans, on a découvert que j’avais un bouchon dans le cœur et que je n’en avais que pour quelques mois à vivre. Depuis, je fais 50 minutes de vélo d’appartement tous les jours. Tous les matins en me levant, je me dis : « Chouette une journée de plus ! » J’ai vraiment conscience que chaque journée où je suis vivant est un cadeau. Progressivement, je deviens aussi végétarien, simplement parce que je n’aime pas manger de la souffrance animale. Enfin au niveau du mental, l’écriture est mon mode de vie, mon mode de soins. J’écris tous les matins de 8 h à 12h30. Et quand je regarde derrière moi, il me semble qu’il y a un chemin d’accompli : 23 romans, 2 pièces de théâtre, 1 long-métrage cinéma. Cela me donne l’impression de ne pas être né pour rien.
Quand vous êtes contrarié, avez-vous une méthode pour transformer cette contrariété ?
Je ne me mets jamais en colère. Pour moi, ce serait m’abaisser au niveau de ceux qui m’agressent. Mon unique solution, c’est la fuite, la fuite par l’écriture, sinon la fuite géographique. Quand quelqu’un me contredit ou m’énerve, je n’ai pas à lui expliquer qu’il a tort, je me dis qu’il vit avec son système, que je vis avec le mien. Je préfère la place de romancier à celle de philosophe parce que, comme romancier, je raconte des histoires qui n’ont pas besoin d’être vraies. Je ne demande pas aux gens d’avoir la foi, je leur propose juste de se poser de nouvelles questions, de ne pas juger, d’être curieux de tout ce qui est nouveau. Beaucoup de gens m’ont dit que Les Thanatonautes et L’Empire des anges leur avaient ouvert de nouvelles perspectives. J’écris pour ça.
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Pour lire l’article en entier, Reflets n°25 pages 74 à 79